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Sous le commandement du comte d’Aché, brouillé comme tout le monde avec Lally, la flotte retournait en France. Ne sachant plus que devenir, Lally fomentait maladroitement une révolution de palais à la cour de Golconde. Arcotte, capitale du Karnatik, se rendait aux Anglais. Bussy, tombé de cheval dans une bataille, était fait prisonnier. Pondichéry tenait encore, mais on ne tarda pas à l’abandonner à sir Eyre Coote, général anglais. Lally rendit cette ville sans capitulation. Une telle conduite est inexplicable, car enfin ce général était brave, il s’était défendu pendant le siège, bien et long-temps. Devenu prisonnier avec toute sa garnison, il fut jeté sur un mauvais bâtiment marchand, mis à la gamelle des matelots et expédié immédiatement pour l’Angleterre. Apprenant qu’il était accusé en France, il demanda et obtint du gouvernement britannique la permission de se rendre dans son pays pour se justifier.

Cette résolution loyale eut un bien triste succès. Dès qu’on sut Lally arrivé en France, la malédiction publique l’accueillit de toutes parts ; il n’y eut qu’une opinion, une voix, un cri ; on n’entendit que les mots de concussion et de trahison. L’origine irlandaise du général accréditait cette accusation dans l’esprit du peuple. A la tête de ses ennemis étaient les directeurs et les actionnaires de la compagnie, ses agens de tout grade, et même les principaux habitans de Pondichéry, chassés par les Anglais de leur ville détruite, embarqués pêle-mêle, privés de fortune, d’emplois, et quelques-uns sans pain. La clameur des femmes surtout était terrible. On croyait Lally immensément riche ; cette idée exaspérait la multitude. Le bruit de son arrestation prochaine circula dès son arrivée à Paris ; mais, dans les salons comme dans les boutiques, on parlait tout haut que ses largesses préviendraient toute condamnation et même toute accusation. Ces bruits parvinrent jusqu’au ministère. Le duc de Choiseul en fut profondément irrité, il aurait dû les mépriser ; il n’eut pas ce courage. Lally fut renfermé à la Bastille, accusé par le procureur-général de concussion et de haute trahison, et déféré au parlement de Paris. Informé d’avance de l’attribution qui allait être faite au parlement, le premier président représenta au ministère qu’il serait préférable de recourir à un conseil de guerre. En effet, les délits dont le général était accusé étant presque exclusivement militaires, des magistrats ne semblaient pas naturellement appelés à en juger. Voltaire représente cette situation bizarre avec cette verve qui ne l’abandonne pas, même dans le sommeil de son talent. « On répétait, dit-il, les noms de Trichenopali, de Vandavachi. Les conseillers de la grand’chambre achetaient de mauvaises