Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier auquel on devait cette confiance, ne se dissimulaient point qu’une énorme disproportion n’avait pas cessé d’exister entre nos ressources et celles de nos adversaires. Derrière l’escadre de 21 vaisseaux que nous pouvions réunir, il n’y en avait point un qu’on pût armer avant six mois ; derrière cette armée, il n’y avait point de réserve. Il n’y avait point, après le premier engagement, de moyen de réparer un revers, ou de poursuivre un succès, pour peu qu’il eût été chèrement acheté. Les approvisionnemens de nos arsenaux s’étaient épuisés à la longue et n’avaient point été renouvelés. Les bois de mâture surtout, qu’il eût fallu faire venir du Nord ou du Canada à travers les croisières ennemies, manquaient presque totalement. Notre matériel naval, loin de s’être augmenté, était en voie de décroissance. Depuis le jour de l’ordonnance qui en avait établi le cadre réglementaire, il avait diminué de 3 vaisseaux et 14 frégates. C’est avec 23 vaisseaux, dont deux devaient être refondus, l’Iéna et l’Algésiras, et 29 frégates, qu’il nous eût fallu commencer la guerre contre une puissance qui avait en 1840, suivant les déclarations de lord Haddington, 86 vaisseaux à flot. Dans ce nombre, on comptait, il est vrai, beaucoup de non-valeurs, mais il est constant que 33 vaisseaux anglais eussent pu, si la guerre eût éclaté en 1841, être réunis presque instantanément ; et récemment encore, au sein de la chambre des communes, sir Charles Napier, reprochant an ministère de négliger les intérêts de la marine anglaise, l’accusait de n’être point en état de mettre à la mer, en moins de douze mois, 50 bâtimens de ligne. Quelle puissance que celle à laquelle on peut adresser de pareils reproches !

Pour nous, l’empire nous avait laissé 41 vaisseaux prêts à prendre la mer. Ce nombre était réduit de moitié. Après vingt-cinq années de paix, nous nous retrouvions moins forts que nous ne l’étions après une guerre malheureuse. Nous avions été un instant en position de livrer une grande bataille avec de belles chances de succès, mais nous n’avions dû évidemment cet avantage qu’à un moment de surprise, qu’à un concours de circonstances qui ne se retrouverait peut-être jamais. Rien n’était réellement changé à la situation respective des deux peuples ; rien n’était changé surtout à la cause la plus réelle de notre infériorité maritime. Nous n’avions point assez de matelots. Les difficultés que les Anglais avaient éprouvées à armer leurs derniers vaisseaux n’indiquaient point chez eux l’appauvrissement du personnel naval : elles témoignaient plutôt de la prospérité commerciale de l’Angleterre. Le commerce seul en effet avait pu trouver de l’emploi pour cette immense population maritime qui, en des temps moins