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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/473

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la mer, mais de la manière dont ils s’y présenteront, attendre dans cette attitude la solution de questions délicates qui doivent peser d’un grand poids sur l’avenir, telle est la ligne à la fois facile et sûre que nous devons suivre dans la direction de nos affaires maritimes, et, s’il nous fallait chercher la justification de cette conduite ailleurs que dans les simples règles de la logique et du bon sens, l’histoire de la plus récente des guerres dont la mer ait été le théâtre suffirait à nous apprendre quels fruits peut porter une pareille politique.

Quand le congrès américain déclara, en 1812, la guerre à l’Angleterre, il semblait que cette lutte disproportionnée dût écraser dans l’œuf sa marine naissante, et elle en a au contraire fécondé le germe. Ce n’est que depuis cette époque que les États-Unis ont pris rang parmi les puissances maritimes. Quelques combats de frégates, de corvettes et de bricks, insignifians sans doute sous le rapport des résultats matériels, suffirent à rompre le charme qui protégeait l’étendard de Saint-George, et apprirent à l’Europe ce qu’elle eût pu déjà apprendre de quelques-uns de nos combats, si le bruit plus éclatant de nos revers n’en eût étouffé la gloire : qu’il n’y avait d’invincible sur mer que les bons équipages et les bons canonniers.

Les Anglais couvraient l’Océan de leurs croiseurs quand cette marine inconnue, composée de six frégates et de quelques navires à peine comptés jusque-là, osa venir établir ses croisières à l’entrée de la Manche, au centre même de la puissance britannique. Mais déjà la Constitution avait capturé la Guerrière et la Java ; les États-Unis s’étaient emparés de la Macédonienne, le Wasp du Frolic, le Hornet du Peacock. L’honneur du nouveau drapeau était fondé, et personne ne se serait avisé d’y faillir. L’Angleterre, humiliée, essaya d’attribuer les revers multipliés qu’elle éprouvait aux proportions inusitées des bâtimens que le congrès avait fait construire en 1799 et qui firent la guerre de 1812. Elle voulut leur refuser le nom de frégates et les appela, avec quelque apparence de raison, des vaisseaux déguisés. Depuis lors, toutes les puissances maritimes ont copié ces modèles gigantesques, car cette guerre eut pour résultat d’obliger l’Angleterre elle-même à transformer son matériel naval ; mais eussent-ils employé au lieu de frégates des vaisseaux rasés, on s’expliquerait difficilement encore les succès prodigieux des Américains. Leurs frégates pouvaient, il est vrai, lancer d’une seule volée près de huit cents livres de fer, tandis que les frégates anglaises n’en lançaient que cinq cent ; leurs équipages étaient de près d’un tiers plus forts que ceux des navires capturés, leur tonnage plus considérable, leurs murailles plus épaisses, et cependant une immense supériorité dans la rapidité et la