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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/588

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impérieuse exigence, fut mal accueillie à Saint-Pétersbourg. La fière Catherine, d’autant moins disposée à suivre l’exemple de Léopold que ses armées avaient fait d’importantes conquêtes, repoussa avec hanteur la proposition des deux cabinets alliés ; elle déclara qu’elle ne consentirait à aucun arrangement dans lequel la Porte ne lui céderait pas la ville d’Oczakow aussi bien que ses dépendances, nécessaires pour assurer de ce côté la frontière russe, et, en témoignage de mécontentement, elle refusa de renouveler le traité de commerce conclu quelques années auparavant entre l’Angleterre et la Russie.

Le cabinet de Londres ne crut pas devoir s’arrêter devant ces manifestations. La voie des représentations étant épuisée, il pensa à recourir à d’autres moyens. Un message royal annonça au parlement que les efforts faits par le gouvernement, de concert avec ses alliés, pour rétablir la paix entre la Russie et la Porte, ayant été jusqu’alors sans succès, et les conséquences de la continuation de la guerre pouvant affecter grandement non-seulement les intérêts des deux cours, mais ceux de l’Europe en général, le roi, pour donner du poids à ses conseils, avait jugé à propos d’augmenter ses forces navales, et demandait à cet effet le concours du parlement. En proposant à la chambre des communes de répondre à ce message par une adresse conçue dans le même sens, Pitt essaya de démontrer combien il importait à l’Angleterre d’arrêter la Russie dans ses rapides agrandissemens, d’empêcher ainsi qu’après avoir accablé la Porte, elle n’annulât l’influence de la Prusse, alliée du cabinet de Londres, et n’ébranlât dans ses fondemens l’édifice européen. Ces argumens furent vivement combattus par l’opposition. Fox nia la réalité du danger signalé par le ministre et parla des territoires que la Russie voulait garder en rendant le surplus de ses conquêtes, comme d’un pays stérile et sans valeur, dont la cession ne pouvait justifier de si excessives alarmes. Prenant ensuite la question sous un point de vue plus général, il soutint que, loin de s’effrayer de ce qui fortifiait la Russie, le ministère eût dû rechercher l’alliance de cette puissance comme la plus avantageuse que pût former l’Angleterre, et il lui reprocha d’avoir préféré à cette combinaison une liaison intime avec le gouvernement prussien, cet ambitieux parvenu dont l’Angleterre se trouvait ainsi condamnée à servir les intrigues incessantes. Burke, qui alors n’avait pas encore rompu avec les whigs, parla aussi contre la politique ministérielle. Pitt, tout en rectifiant les erreurs de ses adversaires, surtout en ce qui concernait la valeur d’Oczakow, dut nécessairement se renfermer.dans la réserve qu’exigeait l’état des négociations non encore terminées.