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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/719

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disons-nous, d’irrésistibles enchantemens que les esprits délicats et fins peuvent seuls s’expliquer. Peut-être n’est-ce au fond que la conscience de lutter contre l’impossible qui vous soutient. On se récrie volontiers sur l’enthousiasme (c’est la manie que je devrais dire), mettons sur la manie d’enthousiasme de certaines intelligences éprises des beautés d’une littérature étrangère, et qui s’en vont chercher bien loin, pour nous les rapporter d’un air de triomphe, des choses cent fois moins dignes d’être admirées que celles qu’on a sous la main ; mais, dans ce compte, on ne fait point la part des beautés intraduisibles, des beautés qu’on sent et ne peut rendre. Dans cette strophe qui, même après tant d’efforts de notre part, va sembler à bon droit au lecteur d’une valeur beaucoup moindre que telle autre de Lamartine ou de Victor Hugo, qu’il a vue en son lieu et place, et dûment investie des graces natives ; dans cette strophe, nous avons aperçu, nous, des tourbillons d’atômes lumineux, et ce mot de la traduction, si froid et si décoloré, a dans l’original des jets de phosphore et des chatoiemens d’émeraude. Aussi faut-il se garder d’admirer après avoir cité. Qui vous dit, en effet, que de cette fleur exotique, transplantée par vous avec zèle et recueillement, toute la senteur vive, tout l’arôme ne vous est point resté aux doigts ?

Passons au Jardin des Roses orientales. Ici, comme nous l’avons remarqué, le ton change. A l’hymne effréné du panthéisme succède le refrain moqueur, la chanson à boire et nous avons à la place des apostrophes délirantes du sofi abîmé dans la contemplation d’Allah, nous avons l’ivresse plus humaine du musulman qui déguste à loisir les jouissances terrestres, et le crâne aviné, son turban sur l’oreille, volontiers se gausse du prophète en clignant de l’œil à quelque bel adulte de seize ans rose et frais dont la main lui verse à flots écumans les rubis de la treille. Assez long-temps le poète a puisé aux sources dévorantes de l’ascétisme et du renoncement à d’autres chansons maintenant : que les roses de Schiraz s’effeuillent dans le cristal empourpré du sang défendu et deux fois précieux de la vigne, que le printemps souffle sur les bosquets son haleine trempée des émanations du paradis, et que Bulbul, caché sous les buissons, égrène, au clair de lune, sur les couples amoureux, les perles sonores de son gosier ! Le livre des Roses orientales est là comme un retour à la vie, à ses plaisirs, à ses fêtes ; comme une mélodieuse litanie ; le printemps, la jeunesse, les joies, l’amour et le vin, reviennent à chaque verset. « Je voudrais courir ivre les rues, dit quelque part Rückert, ne m’arrêter que là où les verres tintent, et me poussant au milieu de la fête, chanter, selon que l’esprit d’Hafiz