Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la salle. Pendant ce temps l’esclave égyptienne, instruite de ce qui se passe, accourt dans la chambre des deux enfans assoupis. « Malheureux ! s’écrie-t-elle, éveillez-vous, peut-être pour mourir. — Eh quoi ! soupirent les deux amans, serait-ce déjà le roi ? — Oui, le roi ; et sur ses pas la mort. » À ces mots, elle jette sur la couche un anneau magique qu’elle vient de trouver parmi les fleurs sur lesquelles elle a dormi ; mais cet anneau, mystérieux amulette envoyé par les fleurs au couple infortuné qu’elles protègent, ne peut sauver qu’un des deux, celui qui l’aura au doigt. Entre Flos et Blankflos une tendre et suprême dispute s’engage ; chacun des deux veut forcer l’autre à vivre. Les instans s’écoulent, l’empereur monte à grands pas l’escalier ; il entre, et tous deux, repoussant un salut qui ne saurait être, commun, se résignent à mourir sous le poignard pour se voir ensuite transformés en fleurs suaves que la brise de mai balance au bord des ruisseaux. — C’est là du reste, si je ne me trompe, le seul essai de Rückert dans un genre si poétiquement restauré avant lui par les romantiques de Berlin, et dont, naguère encore, un génie éternellement regrettable, alliant à la fantaisie le sens pratique, cousin de cet admirable Achim Arnim, de Brentano, de Tieck, et aussi cousin de Goethe, le chantre de Merlin et de Munchausen, Carl Immermann en un mot, donnait en son poème de Tristan et Iseult une délicieuse étude.

Nous touchons au Printemps d’Amour, c’est-à-dire à l’émeraude la plus rare et la mieux montée de l’écrin du poète. Tout vrai lyrique a ainsi son petit livre qu’on aime d’amour et sur lequel on reviendrait sans cesse. Peut-être est-ce là le grand charme de ceux que nous appellerions volontiers les intimes d’avoir su condenser tant de substance exquise en si mince volume. Voyez Horace, Pétrarque, La Fontaine, André Chénier, Novalis : on emporte avec soi l’aimable bagage, le petit livre ; on le tourne et retourne au soleil ; à défaut de crayon la fantaisie l’illustre de ses plus étincelantes arabesques, tant on est aise d’entrer en confidence plus intime avec qui vous avait d’avance si bien deviné. On a son poète et dans ce poète le feuillet de prédilection, la page qu’on extrait. A mon sens, chez Lamartine, ce seraient les Préludes, c’est le Liebesfrühling chez Rückert. A la place de notre auteur, au lieu de Printemps c’est Coran que j’aurais voulu dire. Le titre, en effet, conviendrait, car ce petit livre fait mieux que chanter l’amour, il l’évangélise. J’insisterais d’autant plus sur Coran que c’était là une allusion toute naturelle à ce beau pays d’Orient qu’on n’a garde d’avoir oublié. Rückert, d’ailleurs, le confesse lui-même : « des roses étincelantes qu’en moi je rapportais, je fis mon Printemps d’Amour. »