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la compagnie des Indes orientales au secours des capitalistes et des actionnaires ; mais trop d’intérêts saignaient encore, trop de fraudes avaient été commises, et surtout trop de folles espérances s’étaient éveillées, pour que la vengeance bourgeoise n’eût pas son cours. Agioteurs subalternes, directeurs de la compagnie de la mer du Sud, ministres, secrétaires d’état, membres des communes, furent mis en cause, la plupart convaincus de deux crimes souvent alliés, de fraude et de duperie, et Sunderland, le premier ministre, à peine absous et devenu profondément odieux, se hâta d’abdiquer le pouvoir. Robert s’y attendait ; il avait prévu la chute de son ancien ami et de son adversaire, se garda bien de l’attaquer, le défendit avec une générosité prudente, et l’aida tranquillement à tomber.

Ces manèges, ces fraudes, ces intrigues, avaient occupé l’année 1720. Ce fut en 1721 que Walpole remplaça Sunderland, et que le pouvoir, si bien gagné par la résistance, le refus, la persévérance de Robert, lui arriva enfin. Maître du whiggisme, qu’il pétrissait et dont il disposait à son gré, premier ministre du trône protestant et de la bourgeoisie aristocratique, il commença son rôle, qui consista non pas à payer des consciences et à solder des vénalités, mais d’abord à calmer la terreur panique des capitalistes, ensuite à protéger le commerce, à rassurer les capitaux, à rallier des intérêts autour du parti whig. Le roi, qui ne savait, comme le dit un jour Shippen dans les communes, ni la langue ni la constitution de l’Angleterre, laissait agir Robert, qui le mena par ses craintes et ses intérêts. « Il ne parlait pas anglais, je ne parlais ni français ni allemand ; je remis mon latin à neuf comme je pus, disait Robert à son fils, et nous gouvernâmes l’Angleterre avec du latin de cuisine. »

Ce n’était pas là le plus difficile. Il s’agissait de gouverner une nation qui méprisait et exécrait son roi, et un roi qui abhorrait et méprisait son peuple. « George Ier, écrit le comte de Broglie au roi de France[1], ne reçoit ni Anglais ni Anglaises. Il déteste toute la nation, qui n’est pas en reste avec lui. Pas un des serviteurs qui approchent de sa personne n’est Anglais. Il regarde le pays comme une possession temporaire, dont il faut tirer parti tant qu’elle dure, mais non point comme un héritage appartenant à lui et à sa famille. Il ne veut pas se commettre le moins du monde avec son parlement, et abandonne à Walpole le soin de toutes ces choses. Il aime mieux que cette responsabilité tombe sur la tête du ministre que sur la sienne

  1. Juillet 1721.