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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/811

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armes, leurs munitions, sans que le gouvernement grec fasse rien pour les entraver. Si quelque chose au monde peut mettre en péril la sécurité et l’indépendance des Grecs, c’est assurément la mise en œuvre de pareils projets. »

A cette dépêche plus menaçante qu’amicale en succédèrent plusieurs autres, où Nicolas tâche de gagner le roi Othon par des flatteries vraiment moscovites sur sa conduite généreuse durant le mouvement de septembre, en même temps qu’il encense d’une manière très peu autocratique Coletti et tout le ministère, l’assurant que l’état nouveau de la Grèce a toutes les sympathies personnelles du tsar, et que le cabinet d’Athènes peut compter sur son concours le plus sincère et le plus empressé. Ces doucereuses protestations avaient pour unique but de rendre à la Russie son influence perdue, et de continuer à duper l’Angleterre et la France, en obtenant leur adhésion, ainsi que celle de Coletti, au maintien en Orient d’un statu quo déshonorant et ruineux pour toute l’Europe.

Heureusement l’opinion publique fait peu à peu justice de cette grande déception appelée le maintien de l’intégrité ottomane ; on commence à comprendre que le meilleur moyen de maintenir l’empire turc fort et indépendant est de le débarrasser des provinces étrangères à sa race, qui, continuellement révoltées, absorbent son activité et dévorent sa jeune armée dans des guerres stériles. De plus en plus le progrès social des raïas grecs porte la diplomatie à admettre enfin dans son principe, cette distinction, que l’intégrité politique de l’empire ottoman ne peut plus être maintenue qu’aux dépens de son intégrité territoriale. Cette conviction, qui se répand surtout en France, n’est pas sans doute étrangère aux efforts que paraît tenter en ce moment notre cabinet pour opérer au sujet de la Grèce une combinaison de l’action française avec l’action britannique. La France sent bien qu’elle est au fond la seule puissance qui n’ait pas d’intérêt contraire à l’agrandissement des Grecs. Il est en outre incontestable que la seule neutralité de la France, refusant de coopérer à des mesures oppressives contre les chrétiens d’Orient, deviendrait d’un poids incalculable pour l’émancipation des raïas grecs ; mais dans son affaissement actuel, notre cabinet sent aussi qu’il ne peut agir tout seul en faveur des Hellènes.

Le refroidissement qui vient de survenir entre l’Angleterre et le divan serait une excellente occasion pour notre gouvernement de relever son influence parmi les Orientaux, non pas en se rapprochant de la Porte impuissantes mais en profitant des dispositions nouvelles de l’Angleterre pour rendre, d’accord avec elle et en dépit de la Russie, ses véritables frontières au royaume hellénique. Si les deux grandes puissances d’Occident étaient une fois bien d’accord sur ce point, la Russie elle-même ne pourrait se refuser à de nouvelles conférences, et la Turquie accepterait, assurément sans résistance, un remaniement du système d’intégrité de son empire, que pourrait suivre enfin une alliance solide entre elle et la Grèce.

Pour briser l’entente obstinée de la Russie et de l’Autriche dans la question