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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/836

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Au plus fort de ses travaux dramatiques, en 1831, M. Victor Hugo publia un roman qui eut un brillant et populaire suçcès : nous voulons parler de Notre-Dame de Paris. En abordant la prose du poète, nous ne saurions songer à citer l’esquisse de Bug-Jargal, ni la plaisanterie de Han d’Islande. Laissons Han d’Islande s’enfuir sur le dos de son ours blanc : ce n’est pas à de pareils monstres qu’il est donné de gravir l’Hélicon ; mais avant de nous occuper du Rhin, arrêtons-nous un moment devant Notre-Dame de Paris, œuvre sérieuse et forte. Il est naturel que le dramaturge prétende aussi se montrer romancier. Au milieu de différences essentielles, le drame et le roman ont des points de ressemblance et de contact qui justifient cette ambition. M. Victor Hugo n’a pas fait de drame qui ait réussi d’une manière aussi éclatante que Notre-Dame de Paris dont la peinture et la gravure ont reproduit les principaux personnages. En face d’un si incontestable succès, nous sommes fort à notre aise pour dire notre pensée. Qu’est-ce au fond que Notre-Dame de Paris ? Une ode à l’architecture et une description du Paris du XVe siècle. La véritable héroïne du roman n’est pas Esmeralda mais la cathédrale. Les personnages humains ne sont que l’accessoire du monument ils l’ornent et l’accompagnent comme autant de statues. Combien est autre le procédé de Walter Scott ! Il est souvent arrivé au romancier écossais d’enfermer son action et ses personnages dans des châteaux et des monastères qu’il a soin de nous décrire ; toutefois, ses acteurs occupent toujours plus notre imagination que le théâtre où ils se déploient. Chez M. Hugo, au contraire, le monument domine et écrase tout. M. Hugo a voulu chanter Notre-Dame de Paris comme il a chanté la colonne et l’arc de l’Etoile. Telle a été sa première pensée ; puis à cette ode il a soudé une action romanesque, et de ce double dessein il est sorti une œuvre plus puissante qu’harmonieuse, mais qui restera comme une page des archives de notre cathédrale et de notre Paris.

Ainsi dans ce livre remarquable les principales qualités qui s’y font voir sont toujours celles que nous avons admirées dans les odes de l’auteur, et jusqu’à présent à nos yeux, soit drames, soit roman, c’est toujours le poète lyrique, qui prévaut. Cependant M. Victor Hugo a écrit en prose sur bien des sujets ; il a traité beaucoup de questions littéraires, et dans la conclusion du Rhin il touche aux questions politiques. N’est-ce pas en quelque sorte affecter l’universalité ? À ce propos, comment ne pas songer à Voltaire ? M. de Maistre a déclaré ne pas pouvoir souffrir l’exagération qui nomme Voltaire universel. Certes, dit-il, je vois de belles exceptions à universalité. Il est nul dans l’ode. D’accord ; mais n’est-ce pas précisément parce que le