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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/87

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et leurs morts. Des voix agonisantes prononcèrent le vote fatal. On comptait parmi les votans un paralytique, deux sourds et un aveugle, sans compter les membres à béquilles, assez nombreux. On voyait la flanelle de sir William Gordon passer sous sa perruque, et son emplâtre à la nuque se révéler par divers signes. Il n’y avait pas un mois que sir Robert avait nommé son fils à une belle place. » On ne parvint, toutefois, à tuer son ministère que par degrés, la majorité s’en alla décroissant, et toujours la parole énergique de Robert, qui ne parlait pas en homme disert, mais qui s’adressait aux passions et aux intérêts avec une force et une netteté incisives, suspendait le moment fatal. A la fin de 1741, il avait compté des majorités de dix et de sept voix. Sa robuste constitution s’affaissait un peu sous la continuité de l’orage. « Il ne dort plus, dit Horace en 1742, autrefois ses rideaux n’étaient pas tirés qu’il ronflait comme un bienheureux. A peine à table, c’était le convive le plus gai, le plus brillant, le moins ministre du monde ; maintenant il reste en face de son assiette, l’œil fixe et ne disant rien. » Robert avait l’habitude du pouvoir, la soif de le garder, et le sentiment d’une nécessité causée par la durée même de son empire. Depuis long-temps ses précautions étaient prises, sa fortune achevée, et tout en donnant la stabilité à la dynastie hanovrienne, il s’était fait des amis parmi les jacobites et les tories.

Un jour, sur la sollicitation de Shippen, chef du petit noyau jacobite de la chambre, il consentit à sauver la vie à un homme qui avait conspiré ; « mais, ajouta-t-il, c’est à condition que vous voterez pour moi, si jamais il est question de quelque bill qui me soit personnel. » Shippen le promit et tint sa parole. Grace à cette prudente manœuvre de vingt-cinq ans, nul ministre dans sa chute ne conserva plus d’amis personnels que cet homme, que l’histoire a traité avec tant de mépris. Il se retira dans son domaine de Houghton, où il mena exactement la même vie qu’il y avait menée dans sa jeunesse ; mais courir les champs et les bois n’était plus possible : il était vieux, et il s’ennuyait fort. L’étude et la lecture ne lui venaient point en aide ; il détestait l’une et l’autre. « Je voudrais bien, comme vous, aimer à lire, disait-il à son fils : mes heures me sembleraient moins pesantes ; mais, à mon vif regret, je n’y prends aucun plaisir. » Cet homme pratique, ce grand machiniste, n’avait plus sous la main les ressorts souvent immondes de la vie réelle. Tous les ans, pour exorciser l’ennui, il réunissait dans son domaine, à l’époque des chasses, le plus de foule possible, et faisait une dépense extraordinaire. « Trois ou quatre mille livres sterling y passaient, dit son fils. C’était un bruit à ne pas s’entendre,