Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour frapper la révolution au cœur. Nous l’avons déjà dit : Burke prophétisait, sinon les sentimens, au moins les professions de foi et la politique de 1814. Ce grand homme touchait alors au terme de sa carrière. Trompé dans tous ses calculs, livré aux plus sombres pressentimens sur l’avenir de l’Europe, complètement séparé des amis de sa jeunesse et de son âge mûr, mécontent du parti auquel il s’était rallié depuis quelques années, et qu’il n’avait pu animer de son ardente énergie, frappé enfin dans son existence domestique par le coup le plus douloureux, la perte d’un fils unique, objet de toute sa tendresse et de toutes ses espérances, il achevait dans le plus triste isolement, dans une sorte de désespoir, cette existence long-temps si brillante et si animée. Pendant le peu de mois qui lui restaient à vivre, il devait voir encore des évènemens bien propres à confirmer les sinistres prévisions auxquelles il s’abandonnait sur l’anéantissement de l’ancienne société européenne.

Pendant qu’à Bâle, les envoyés de France et d’Angleterre échangeaient les communications dont nous avons parlé, des tentatives de réconciliation se faisaient aussi, par des voies indirectes, entre la France et l’Autriche. Elles échouèrent également, parce que l’Autriche exigeait de la république la restitution de toutes ses conquêtes, et les hostilités, interrompues pendant l’hiver, recommencèrent avec plus d’ardeur. On allait entrer dans une phase nouvelle. Bonaparte venait de prendre, à vingt-six ans, le commandement de l’armée française en Italie, et l’Italie était aussitôt devenue le principal champ de bataille de l’Europe. Avant lui, les Français n’avaient pu franchir la barrière des Alpes. On le vit, en un moment, s’emparer du Piémont, forcer le roi de Sardaigne à déposer les armes en cédant à la France la Savoie et Nice, chasser les Autrichiens de la Lombardie, battre successivement trois armées envoyées par l’empereur pour la reprendre, accorder la paix, à des conditions plus ou moins onéreuses, au pape, au roi de Naples, à la république de Gênes, à tous les états d’Italie, naguère confédérés contre la France, enfin former, des provinces enlevées à l’Autriche et au saint-siège, deux républiques liées à la république française par une étroite alliance, et qu’il ne tarda pas à réunir en un seul état sous le nom de République Cisalpine.

En Allemagne, Jourdan et Moreau, à la tête de deux armées considérables, passèrent de nouveau le Rhin, et pénétrèrent jusqu’aux frontières de la Bohême et de l’Autriche. Vienne même semblait en péril. L’Autriche épouvantée pressait l’Angleterre de négocier sérieusement la paix. Le cabinet de Londres s’efforçait de décider la Prusse à s’interposer