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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/90

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la patrie allemande, et qui, aux ridicules et aux prétentions du vice civilisé, joignait quelques traces de barbarie. Rien ne m’a semblé plus curieux que de suivre dans ses détails cette vie qui n’avait pas été bien faite, que Robert lui-même n’a jamais pensé à mettre en relief, et dont les documens se trouvent épars dans les œuvres et les lettres que son fils Horace laissa tomber de sa plume de gentilhomme.

Que l’on s’arrête un moment devant le portrait de Robert Walpole à Cambridge ; on comprendra bien son caractère et même sa vie politique. A voir cette figure de bonhomme madré, ce petit nez anti-héroïque, cet œil fin et riant, ces plis qui se prolongent à la commissure des paupières, ce double menton de gastronome, ces lèvres riantes et qui se relèvent des coins, et tout ce caractère de tête sans élévation, mais point commun ni faible, et cette tenue sans prétention comme sans timidité, l’on reconnaît sans peine le rustique et spirituel fils du seigneur-fermier de Houghton, celui que l’on appela le maquignon des consciences, et qui apparemment trouva de grandes facilités et un singulier succès dans son petit commerce, puisqu’il a tenu l’Angleterre dans ses mains pendant un quart de siècle. George Ier, George II, ne sont que des draperies ; le vrai pouvoir est dessous, et ce vrai pouvoir, c’est Walpole.

Ainsi se révèle enfin Robert Walpole, l’un des personnages qui m’ont le plus piqué dans la lecture de l’histoire. En général, sa prépondérance a été expliquée par la corruption ; mais ne corrompt pas qui veut : les exigences s’accroissent à mesure des prodigalités d’un ministre ; et comment les satisfaire ? Les trésors de Golconde n’y auraient pas suffi. D’ailleurs, n’était-ce pas l’époque de Swift, de Pope, de Gay, d’Addison ? L’espèce humaine n’est pas si misérable en vérité.

On voit maintenant pourquoi tous les écrits significatifs d’Horace Walpole, lettres, mémoires, matériaux pour l’histoire, n’ont paru qu’après sa mort, à de si longues distances, et comment s’explique sa résolution étrangement posthume. Excuser Robert Walpole, c’était accuser ses contemporains ; les familles de ces derniers ne l’auraient pas souffert ; la fameuse boîte conserva son dépôt intact pendant soixante années. Horace Walpole a donc masqué ses batteries. Au lieu de défendre Robert, il a exposé l’histoire contemporaine avant, pendant et après le ministère paternel, et il l’a exposée avec détail, dans la plus minutieuse et la plus stricte peinture. Alors même qu’il n’a pas l’air de vouloir toucher le but, il y vise. Le nom de Robert était devenu le type de l’infamie politique, le bouc émissaire, la risée