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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/910

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Depuis que le traité de Campo-Formio avait paru lui livrer l’empire du continent, le directoire semblait avoir pris à tâche de pousser à bout, par ses empiètemens, la patience des peuples et des souverains. Nous avons vu comment, sans se concerter avec aucune des grandes puissances, il avait remplacé violemment le gouvernement du saint-siège et l’ancienne organisation fédérative de la Suisse par des démocraties nouvelles formées à l’image de la république française. Entouré ainsi de gouvernemens dont il était le type et qui n’avaient d’autre force que celle qu’il leur communiquait, il ne les traitait pas avec moins de dureté que ses ennemis. On l’avait vu tout récemment briser le directoire et les conseils de la république cisalpine, parce qu’ils s’étaient refusés à accepter les stipulations fort onéreuses d’un traité d’alliance et de commerce qu’il voulait leur imposer. Toujours impérieux et hautain, il ne daignait plus négocier, il prétendait dicter partout la loi. Au congrès de Rastadt, où ses plénipotentiaires discutaient avec ceux de l’empire les conditions du rétablissement de la paix entre la France et l’Allemagne, il ne se bornait plus à exiger la cession de la rive gauche du Rhin : il voulait quelques positions sur la rive droite, il refusait de se charger des dettes des pays qu’on lui cédait, il intervenait arrogamment dans une question tout allemande, dans le mode d’indemnité des princes dépossédés en sa faveur. Par ces étranges prétentions, il blessait à la fois tous les intérêts, tous les amours-propres, il réveillait dans les esprits les plus apathiques un sentiment d’indépendance et de dignité qu’on ne provoque jamais impunément. Le cabinet prussien lui-même, dont la mort récente de Frédéric-Guillaume II et l’avènement de Frédéric-Guillaume III n’avaient pas changé les inclinations pacifiques, et qui jusqu’alors avait secondé la politique française, commençait à la trouver trop exigeante ; à Rastadt, la légation prussienne se joignit à celle d’Autriche pour défendre contre la France la limite du Rhin. L’Autriche, qui, pour tolérer bien des usurpations, ne demandait qu’à en avoir sa part, l’Autriche, ne trouvant pas le directoire assez disposé à accéder aux vues ambitieuses qu’elle avait sur l’Italie, pensait déjà à reprendre les armes avec l’appui d’un allié dont le concours pouvait changer la proportion des forces respectives. Cet allié, c’était la Russie. Paul Ier, en montant sur le trône, s’était d’abord montré enclin à garder la neutralité ; mais bientôt sa haine profonde pour les idées révolutionnaires et l’indignation que lui inspiraient les envahissemens de la France l’avaient rapproché de l’Angleterre, avec laquelle il avait, dès l’année précédente, conclu un traité de commerce. Une circonstance