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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/919

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veiller à la sûreté des troupes placées sous ses ordres, s’emparait des places fortes du Piémont, et contraignait le roi Charles-Emmanuel à se retirer en Sardaigne après avoir abdiqué en faveur de la France.

Le mouvement prématuré des Napolitains n’avait donc eu d’autres résultats que de livrer aux Français les seules parties de l’Italie qu’ils n’eussent pas encore soumises. L’Autriche, dont les préparatifs n’étaient pas achevés, resta spectatrice immobile de ces évènemens ; elle attendait l’arrivée des auxiliaires que lui envoyait le cabinet de Saint-Pétersbourg, et le congrès de Rastadt n’était pas encore dissout. Ce fut le directoire qui mit fin à cette situation singulière : ayant demandé à la cour de Vienne des explications catégoriques sur la marche des Russes et ne les ayant pas obtenues, il donna l’ordre à ses généraux d’attaquer les Autrichiens.

L’état de la France, au moment où elle entrait ainsi en lutte avec une portion considérable de l’Europe continentale, n’était rien moins que rassurant. Le gouvernement du directoire, frappé de discrédit par l’immoralité et la médiocrité de la plupart de ses chefs, penchait vers sa ruine. Menacé à la fois par les conspirations des jacobins, par les intrigues des royalistes, par les prétentions hautaines et l’ambition effrénée de ses généraux, il ne se soutenait qu’à force de coups d’état et de mesures arbitraires. L’opinion publique, fatiguée de tant de révolutions, n’aspirait plus qu’au repos sous un pouvoir assez fort pour le garantir, et comme le directoire n’était évidemment pas ce pouvoir, elle appelait de tous ses vœux son renversement. Les principaux membres du gouvernement, regardant eux-mêmes comme inévitable un prochain changement, pensaient moins à le prévenir qu’à le diriger chacun dans son propre intérêt. La chouannerie, mélange odieux de brigandage et de guerre civile, désolait plusieurs départemens. Les finances étaient ruinées. L’armée, livrée dans les pays conquis à des habitudes d’indiscipline et de désordre qu’excusaient le dénûment où on la laissait et l’exemple de ses généraux, avait perdu elle-même quelque chose de son ancienne vigueur. L’élite de cette armée était d’ailleurs en Égypte, avec Bonaparte, bloquée en quelque sorte par les Anglais, et n’ayant plus, depuis la destruction de la flotte d’Aboukir, aucun moyen d’accourir au secours de la France. Enfin, parmi les capitaines qui s’étaient illustrés dans les dernières campagnes, les uns avaient suivi Bonaparte ; la mort, l’exil, la disgrace, avaient frappé quelques autres, et ceux qui restaient, inquiétant, par leur supériorité même, un gouvernement faible et jaloux, n’étaient pas toujours préférés, pour les principaux commandemens, à des hommes moins habiles,