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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/975

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cycle de la Table ronde. Grande fut la surprise au premier moment, grande fut la clameur parmi les érudits d’en-deçà de la Loire, parmi tous ceux qui tenaient pour l’origine bretonne ou pour l’origine normande de ces épopées. Nous ne voulons pas réveiller, nous osons constater à peine d’ardentes querelles où l’on vit de spirituelles plumes courir aux armes pour la défense de leurs frontières envahies[1]. On aurait dit qu’il s’agissait de repousser une invasion du Midi redevenu à l’imporviste conquérant. Le fait est que M. Fauriel, pour commencer, réclamait tout le butin d’un seul coup, et avec un ensemble de moyens, avec une hardiesse de sagacité tout-à-fait déconcertante : M. Fauriel, dit Schlegel (rapporteur ici impartial et le plus éclairé), veut que la France méridionale, féconde en créations poétiques, ait toujours donné à ses voisins et qu’elle n’en ait jamais rien reçu. N’étant pas placés dans l’alternative ou d’adopter en entier son système ou de le rejeter de même, nous allons en examiner un à un les points les plus essentiels. » Or, en abordant successivement ces points, Schlgel donne gain de cause à M. Fauriel sur un bien grand nombre. N’ayant pas d’avis propre et personnel à exprimer en telle matière, je dois me borner à signaler en ces termes généraux l’état de la question. Il en est un peu des critiques les plus sagaces, les plus avisés et les plus circonspects, comme des conquérans : ils veulent pousser à bout leurs avantages. Il est très possible que, sur quelques endroits de la frontière, M. Fauriel ait en effet forcé sa pointe et réclamé plus qu’il ne lui sera définitivement accordé. Il ne se contentait pas de passer la Loire et la Seine, il franchissait le Rhin et les Alpes, et s’efforçait d’asseoir en Allemagne, comme en Italie, l’influence provençale, d’en faire pénétrer le souffle jusqu’au nord de l’Europe. Sera-t-il fait droit, en fin de compte, à une si vaste ambition civilisatrice ? On m’assure qu’il ne lui sera pas concédé tout ce qu’il prétend en Italie, en Souabe ; on m’apprend que les Bretons résistent opiniâtrement, selon leur usage, et ne se laissent pas arracher une portion du cycle d’Arthur. La prochaine publication complète de son cours fournira une base plus ample au débat. Mais ce qui est déjà hors de doute, c’est que, par lui, le sol indépendant de la poésie et de l’épopée provençale demeure singulièrement agrandi et en partie créé. On a dit de M. Raynouard qu’il avait retrouvé une langue, M. Fauriel a retrouvé une littérature.

La Revue des Deux Mondes a eu l’avantage encore de publier deux de ses plus excellens et de ses plus achevés morceaux biographiques,

  1. Voir la préface du roman de Garin le Lohérain, par M. Paulin Paris (1833).