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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/977

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même d’un passé douloureux, même d’un passé déréglé et coupable, qu’il s’y attache davantage en vieillissant ; qu’il le ressaisit étroitement par le souvenir ; qu’au risque de perdre plus tard en estime, il sent le désir passionné de le transmettre, et qu’il a la faiblesse d’en vouloir tout consacrer. Je recommande cette considération à ceux qui ont sondé dans quelques-uns de ses recoins secrets cette nature morale des poètes. Ajoutez-y, dans le cas présent, que l’imagination romanesque espagnole, en particulier, s’est toujours montrée d’une execive complaisance sur le chapitre des fragilités de jeunesse et des situations équivoques où elles entraînent ; il suffit d’avoir lu le Gil-Blas pour s’en douter. — Par cette polémique quoi qu’il en soit, par cette vivacité de riposte qui accueillait de graves écrits sur des sujets anciens, le pacifique M. Fauriel put s’apercevoir que, nonobstant ses lenteurs et son soin modeste de s’effacer, il n’échappait point entièrement aux petits assauts ni aux combats, qui sont la condition imposée à tous découvreurs et novateurs.

Nous aurions à caractériser son cours à la Faculté des Lettres et à résumer quelques-uns des souvenirs de son enseignement, si son successeur, qui fut dans les dernières années son suppléant, M. Ozanam, ne nous avait devancé dans cette tâche par un complet et pieux travail auquel on est heureux de renvoyer[1]. Dans son cours en général, M. Fauriel ne fit que produire ce qu’il avait de tout temps amassé sur Homère, sur Dante, sur la formation des langues modernes, sur les poésies primitives ; ainsi faisait-il encore dans les articles qu’il tirait de là. Ce genre de littérature ne lui coûtait presque aucune peine ; la forme n’étant pour lui ni un obstacle ni une parure, il n’avait qu’à puiser, comme avec la main, dans un fonds riche et abondant ; c’était devenu pour lui presque aussi simple que la conversation même. Je comparerais volontiers cette quantité de produits faciles et solides à des fruits excellens, substantiels, mais un peu trop mûrs ou parés, comme on dit, à des fruits qui ont été cueillis et tenus en réserve depuis trop long-temps, et n’ayant plus cette fermeté première de la jeunesse. La qualité nourrissante leur restait en entier.

C’est au milieu de ces travaux journaliers, de ces occupations ininterrompues, que nous avons vu M. Fauriel passer et tromper les saisons du déclin. Nous aurions, si nous voulions bien, à énumérer encore : il publia en 1837, dans la collection des documens historiques, le poème provençal sur la guerre des Albigeois ; l’Académie des

  1. Voir le Correspondant du 10 mai 1845.