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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/981

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qu’on regardait avec cette espèce de curiosité qui s’attache aux habitans d’une terre lointaine. Quelques-uns surent, il est vrai, appeler à eux les gens du monde par ["attrait de leur style, par le charme et la clarté de leur exposition : mais, quelque marquise a feuilleté les Mondes de Fontenelle, si les esprits font du dernier siècle ont répété les phrases scientifiques de Voltaire, si les magnifiques pages de Buffon ont trouvé partout des admirateurs, ce n’était guère qu’une affaire de mode. La science proprement dite restait lettre close pour quiconque n’était pas savant de profession.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. Dans l’admirable développement qu’elle a pris depuis le commencement du siècle, la science s’est montrée entourée de résultats si inattendus, si brillans, qu’elle a dû attirer sur elle les regards de tout homme sérieux. Ses applications, d’une importance si incontestable, lui ont rattaché les esprits positifs. S’adressant ainsi à la fois à l’intelligence et aux intérêts matériels, elle a pénétré, elle pénètre tous les jours davantage au cœur même de la société. L’industrie, l’agriculture, le commerce, tout ce qui fait la vie et la force des états relèvera bientôt de cette noble suzeraine. La littérature elle-même lui paie déjà son tribut. Le touriste emprunte à la zoologie, à la botanique, à la géologie, le nom des animaux, des plantes, des rochers qu’il décrit. Le roman intime ne saurait guère se passer d’une légère teinte physiologique. La physique, la chimie, ont fourni le sujet de plus d’un chapitre à nos écrivains de feuilletons, et pas un romancier n’oserait aujourd’hui décrire les splendeurs d’une belle nuit ans demander à l’astronomie le nom précis de quelques-unes des constellations qui étincellent sur nos têtes.

L’Académie des Sciences de Paris a parfaitement compris ce mouvement des esprits et l’a favorisé de tout son pouvoir. Elle a vu que le monde s’occupait d’elle, et bien loin de reculer devant une investigation souvent inquiète, quelquefois injuste, elle a ouvert ses portes à tous ceux qu’un intérêt de science ou de simple curiosité pouvait conduire à ses séances ; elle a livré ses cartons de correspondance au journalisme. Cette publicité illimitée a bien ses inconvéniens. Le charlatanisme a trop souvent transformé la tribune académique en succursale du bureau d’affiches. Trop souvent les préventions politiques ont remplacé les calmes appréciations de la science, et le feuilleton scientifique a parfois oublié qu’il devait être un terrain neutre où tous les hommes de mérite, divisés ailleurs par des dissentimens peut-être passagers, pouvaient se tendre une main fraternelle ; trop souvent aussi les banquettes ont été envahies par ces désœuvrés qui cherchent à dépenser n’importe comment quelques heures d’une journée qui leur pèse, et dont la présence éloigne des séances de l’Académie les travailleurs ménagers de leur temps. Malgré ces inconvéniens, dont le remède ne serait pas impossible à trouver, la décision prise par l’Académie n’en est pas moins libérale et digne de tous nos éloges. Elle ne pouvait venir que d’hommes bien sûrs d’eux-mêmes et de la force des idées dont ils sont les représentans.