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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1001

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— N’avez-vous jamais pensé, monsieur le chevalier, qu’un jour viendrait où il vous faudrait suivre l’exemple de vos frères ?

— Pardonnez-moi, monsieur, répondit-il d’un ton de dignité soumise ; aujourd’hui même je songeais aux diverses carrières qu’ont embrassées mes aînés, et, avant de les imiter, j’avais résolu de m’en ouvrir avec vous pour me conduire ensuite selon vos conseils et vos ordres.

— Je n’ai jamais contraint l’inclination de mes fils, reprit le baron d’une voix radoucie : les aînés sont d’église, les plus jeunes ont pris le parti des armes ; mais je n’ai point dit à l’un : Vous vous ferez moine ; à l’autre : Vous servirez le roi. Ainsi vous pouvez choisir. Ce n’est pas comme votre sœur ; pour elle, il n’y a qu’une porte ouverte, c’est celle du couvent.

— Vous avez décidé, monsieur, que ma sœur entrerait en religion ? dit le cadet de Colobrières d’une voix émue ; elle va rejoindre ses aînées ? — Et, comme le baron fit un signe affirmatif, il ajouta : — Pour moi, je sens que la vie du monde n’a aucun attrait, et peut-être devrais-je, au lieu d’essayer de m’y faire une place, m’en aller tout droit rejoindre, au grand couvent des capucins d’Aix, votre fils aîné, le père Cyrille.

— Il faudra réfléchir là-dessus, dit vivement le baron ; j’ai quatre fils déjà dans les ordres mendians ; c’est bien assez, je crois, pour l’édification du monde. Au surplus, agissez selon votre vocation.

— Ma vocation serait, si le roi faisait la guerre, d’aller à l’armée me faire tuer ! murmura Gaston ; mais, puisque je ne puis pas mourir tout d’un coup, il faut que j’aille m’ensevelir dans un habit de moine.

— Plaît-il ? que dites-vous, mon fils ? demanda le baron, qui n’avait pas compris.

— Je dis, monsieur, que je suis prêt à vous obéir dans tout ce que vous me commanderez, répondit le cadet de Colobrières avec un soupir.

— Bien ! mon fils ; j’achèverai de m’expliquer plus tard, dit le baron touché et surtout étonné de cette soumission absolue, qui s’accordait si peu avec ce que lui avait dit la Rousse. Il n’y avait pas d’apparence que son fils songeât à prendre le froc, s’il eût arrangé son mariage avec l’héritière de Pierre Maragnon. Le baron finit par supposer que ces projets, qui l’avaient tant indigné, n’étaient pas aussi avancés qu’il le pensait d’abord, et qu’au lieu d’un mariage arrêté, il ne s’agissait que d’une inclination naissante. Cette certitude modifia tout