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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1005

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garnir le tour de la chambre qui, au premier coup d’œil, paraissait tout-à-fait nue. L’on était aux derniers jours de janvier, et le vent qui sifflait entre les boiseries mal jointes répandait un froid sec dans l’atmosphère ; l’on sentait venir de tous côtés des bouffées glaciales qui faisaient craquer les meubles et pétiller la petite lampe dont la lueur tremblotait à travers les demi-ténèbres de ce vaste appartement. Mme de Colobrières, après avoir fouillé le plus profond tiroir de l’armoire, apporta sur la table un coffret et une petite bourse de peau, la même que, bien des années auparavant, elle avait confiée un soir à la belle Agathe ; puis elle fit approcher ses enfans.

Le coffret contenait les bagues et joyaux qu’elle avait apportés en dot au baron de Colobrières ; c’étaient d’antiques anneaux ornés de pierreries, une montre d’or qui ne marchait plus depuis un demi-siècle, et quelques autres bijoux du même genre.

— Mon fils, dit-elle en s’adressant à Gaston, ceci m’appartient, et je vous le donne, non pour que vous le conserviez comme j’ai fait, mais pour que vous en dépensiez le prix selon vos besoins. Prenez aussi cette bourse ; elle contient les économies d’un grand nombre d’années, et le premier écu que j’y ai mis a été la cause de bien des malheurs dans notre famille… Je l’ai laissé là dedans, y ajoutant tout ce que je pouvais, dans l’espoir qu’un jour heureux viendrait où j’en ferais présent à ma dernière fille… Hélas ! c’est son cadeau de noces que je vous donne…

Elle se tut ; les larmes qui la gagnaient étouffaient sa voix ; mais, comme elle vit que ses deux enfans pleuraient, elle se fit violence pour surmonter sa douleur, et reprit d’un ton tranquille et d’un air presque satisfait : — Tout cela réuni, mon fils, forme une petite somme assez ronde pour que vous puissiez accompagner votre sœur non pas seulement jusqu’à Aix, comme c’est la volonté de votre père, mais jusqu’à Paris.

— Ah ! ma mère, s’écria Anastasie, ceci est la plus grande consolation que votre tendresse pût me donner ! je ne l’aurais pas demandée…. je n’aurais pas osé l’espérer….

— Pauvre enfant ! elle aurait vu… je l’aurais suivie à pied ! murmura le cadet de Colobrières.

Un peu après, le baron entra et vint s’asseoir à côté de sa femme. Déjà l’horloge avait sonné neuf heures, et depuis long-temps le couvert était dressé dans la salle ; mais on ne soupa point ce jour-là. Après avoir long-temps attendu, le vieux domestique alla retrouver la Rousse, et lui dit d’un air consterné : — Personne ne s’est mis à table ; certainement ce sont nos jeunes maîtres qui partent.