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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1008

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La Rousse était tombée, hors d’haleine, au bord du chemin ; un moment encore elle suivit des yeux le carrosse qui fuyait environné d’un tourbillon de poussière, et, quand il eut disparu, elle murmura :— À Paris ! Seigneur, mon Dieu !… à Paris !… Oh ! mais j’irai !…


IV.

À l’époque où se passait la simple histoire dont nous avons entrepris le récit, il y avait, au centre de Paris, dans la rue du Vieux-Colombier, un édifice de médiocre architecture et d’un aspect assez triste. Les brouillards éternels qu’engendre la Seine avaient donné aux murailles ces tons moisis que revêtent les monumens dont on a négligé pendant plusieurs siècles de badigeonner l’extérieur. La porte était solide comme celle d’une prison, et les rares fenêtres qui s’ouvraient sur la rue étaient munies de doubles grilles. Ce fut au seuil de cette maison qu’un carrosse de voyage s’arrêta un matin du mois de février, et déposa Mlle de Colobrières. Quant à Gaston, il était descendu dans une hôtellerie voisine, en attendant l’heure de se présenter au parloir du couvent de Notre-Dame de la Miséricorde.

Anastasie traversa, conduite par une sœur converse, la cour humide et sombre qui séparait la rue des bâtimens claustraux. Elle entra ensuite dans une espèce de vestibule au fond duquel s’ouvrait une porte peinte en noir et surmontée d’une croix. La sœur converse sonna discrètement. Aussitôt le guichet s’ouvrit, une figure ridée apparut derrière le grillage ; puis une voix fêlée et un grand bruit de clés se firent entendre simultanément.

— Jésus soit béni ! disait la voix tandis que les clés grinçaient dans les lourdes serrures, c’est Mlle de Colobrières qui arrive ! Quel heureux événement ! quelle joie pour la communauté !

La porte massive s’ouvrit enfin, et la vieille religieuse à laquelle étaient confiées les fonctions de tourière prit Anastasie par la main, en s’écriant : — Entrez, entrez, mademoiselle… Mon doux Sauveur, que je suis aise de vous voir !… Permettez, mon enfant, je veux être la première à vous embrasser.

À ces mots, elle toucha du bout des lèvres les joues fraîches d’Anastasie, qui, reconnaissante de cet accueil empressé, balbutiait des remerciemens, et sentait graduellement s’évanouir l’espèce de serrement de cœur qu’elle avait éprouvé en entendant se refermer derrière elle la porte de clôture. Elle se laissa emmener à travers un long