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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1020

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de la collection de Constantin Céphalas, retrouvé à Heidelberg par Saumaise en 1606, demeura long-temps inédit et à la portée seulement d’un petit nombre d’initiés. En 1623, par suite des vicissitudes de la guerre de trente ans, ce précieux manuscrit avait été transporté dans la bibliothèque du Vatican, ce qui le rendait moins accessible encore. Les extraits et copies de Saumaise et de quelques doctes émules circulaient de cabinet en cabinet, et faisaient le régal à huis-clos des Bouhier, des La Monnoye et autres fins connaisseurs. Brunck le premier, par la publication de ses Analecta (1776), mit en lumière avec goût, avec cette netteté décisive qui est son cachet, tout ce délicat et gracieux trésor ; mais ce n’est que depuis les travaux et l’édition de Jacobs qu’on peut se vanter de posséder l’Anthologie grecque dans ses reliques les plus scrupuleusement reproduites et les plus fidèles. Après tout ce qu’on a perdu, il y a encore de quoi se consoler.

Et pourtant, si l’on se reporte en idée à ce que devaient être ces premières Couronnes de Philippe et surtout de Méléagre, que de douleurs renaissent involontaires, et je dirai presque, que de larmes ! C’est là, nous dit Brunck, qu’on aurait retrouvé en entier ces idylles ou petites pièces des plus inventifs et des plus accomplis poètes, l’admiration et les délices de toute l’antiquité, de ceux dont nous sommes’ accoutumés à vénérer les noms, et dont il ne nous est arrivé que de rares débris encore plus faits pour enflammer nos regrets que pour nous donner la mesure des pertes. C’est là que ces neuf lyriques, dont nous ne possédons amplement qu’un ou deux tout au plus, nous auraient offert l’amas le plus exquis de leur butin ; et ces neuf lyriques, les voici tels que les célèbre et les caractérise dans une épigramme un anonyme ancien, l’un de leurs successeurs, et tels que l’antiquité tout entière les consacra

« Pindare, bouche sacrée des Muses, et toi, babillarde Sirène, ô Bacchylide, et vous, graces éoliennes de Sapho ; pinceau d’Anacréon ; toi qui as détourné un courant homérique dans tes propres travaux, ô Stésichore ; page savoureuse de Simonide ; Ibycus qui as moissonné la fleur séduisante de la Persuasion près des adolescens ; glaive d’Alcée qui mainte fois fis libation du sang des tyrans, en sauvant les institutions de la patrie ; et vous, rossignols d’Alcman à la voix de femme[1], soyez-moi propices, vous tous qui avez ouvert et qui avez clos toute arène lyrique ! »

  1. Alcman, à ce qu’il paraît, avait passionnément chanté les amours de jeunes filles, de même qu’Ibycus avait introduit chez les Grecs nue poésie d’un autre genre. Chaque mot de cette petite pièce a son intention caractéristique.