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Les uns y arrivèrent à la nage, les autres dans des embarcations. Ils trouvèrent partout la côte gardée par les troupes de la république, et ne purent se faire jour nulle part. Voyant enfin l’inutilité de ses efforts, Sentmanat comprit qu’il devait renoncer à son entreprise et chercher le salut dans la fuite ; il engagea ses compagnons à se disperser. La plupart tombèrent entre les mains des soldats, en fuyant à travers un pays qu’ils ne connaissaient pas ; d’autres cherchèrent des officiers du gouvernement pour faire leur soumission et leur rendre les armes. Sentmanat ne tarda pas lui-même à être fait prisonnier. On les entassait, à mesure qu’on les prenait, dans les cachots de la prison de Saint-Jean-Baptiste. Lorsqu’ils y furent à peu près tous réunis, on s’occupa de l’exécution. Pour toute forme judiciaire, on leur fit subir un court interrogatoire, puis on les conduisit au supplice. Quelques-uns s’avouèrent coupables, les autres protestèrent jusqu’au dernier moment de leur innocence. Ce fut en vain qu’ils en appelèrent à la justice des Mexicains, jurant qu’ils n’avaient eu connaissance des projets de Sentmanat que lorsqu’il n’était plus temps de reculer, qu’ils s’étaient engagés avec lui comme colons et ouvriers pour la culture des terres que le général leur avait dit posséder au Mexique : leur dernier moment n’en fut pas retardé d’une minute. On égorgea tout. Il y avait dans le nombre des enfans de dix-sept et de dix-neuf ans.

Ces évènemens étaient à peine connus à Mexico, que notre ministre réclama. Que devait-il faire ? La France lui aurait-elle pardonné de garder le silence en présence de ces actes de barbarie ? Avait-il, comme le plénipotentiaire anglais, le bail de location d’une Balise à convertir en titre de propriété ? Était-ce sa faute si une Californie n’était pas au bout de sa patience ? Ses réclamations furent dignes et énergiques : elles reçurent l’approbation de tous les sujets anglais de Mexico, qui, n’étant pas dans le secret de la diplomatie, ne pouvaient pardonner à leur ministre le silence qu’il gardait. Santa-Anna, enhardi par la modération intéressée de l’envoyé de la reine Victoria, adressa à M. le baron de Cyprey une réponse pleine d’expressions injurieuses pour la France et pour son représentant : il qualifiait ses réclamations de tracassières et d'imprudentes, l’invitait à imiter la conduite du plénipotentiaire anglais, et le menaçait de faire porter, par le ministre mexicain à Paris, une plainte contre lui au roi des Français. M. de Cyprey répondit que le représentant de la France n’avait à régler sa conduite que sur l’honneur et l’intérêt de son pays, qu’il acceptait avec joie l’appel au roi des Français proposé par le gouvernement mexicain, mais qu’en attendant il se croyait obligé, par son devoir, à demander si les Français exécutés à Tabasco l’avaient été en vertu d’un jugement, ou non. Au lieu de répondre directement à cette question, les ministres de Santa-Anna crurent se justifier en rappelant les châtimens infligés aux pirates par toutes les législations du monde civilisé ; ils citèrent le code pénal de la France, l’exemple d’Alger bombardé tant de fois, conquis enfin, sans qu’il eût été besoin, pour autoriser cette conquête,