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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/1093

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REVUE. — CHRONIQUE.

devient trop souvent son partage ! Tels sont les malheurs communs aux enfans trouvés des deux sexes ; mais, pour les filles, que de périls dans tant de misère et d’abandon ! N’arrive-t-il pas trop souvent qu’une infortunée ainsi réduite fait, comme dit un orateur chrétien, « de son innocence le prix funeste de la nécessité ? »

Les commissions administratives, dira-t-on, sont chargées de la tutelle de ces enfans et doivent veiller sur les pupilles que la loi leur confie. Il est vrai ; mais, en réalité, cette tutelle est tout-à-fait illusoire. Lorsque l’enfant atteint l’âge de douze ans, l’hospice retire au nourricier la faible rétribution qu’il lui payait encore, et à dater de ce moment l’enfant devient libre de fait, sinon de droit. Une querelle, un caprice, un juste mécontentement, peuvent lui faire quitter le toit qui l’abritait, et, maître de ses actions, il part, il offre ses services au premier venu, qui les accepte ou les refuse sans encourir la moindre responsabilité. Que de dangers dans cette liberté à un âge où le frein d’une autorité protectrice est toujours si nécessaire ! A-t-on le droit de s’étonner si ces enfans, doublement abandonnés, cédant tout à la fois aux cruelles tentations des besoins, aux aveugles impulsions des mauvais instincts, et aux coupables séductions de ceux qui ont un intérêt quelconque à les égarer, deviennent redoutables à la société, qui n’a pas su jusqu’ici tourner à son profit leurs forces et leur intelligence ?

Là aussi, il y a quelque chose à faire ; ainsi du moins l’ont pensé les fondateurs de la société d’Adoption, et ils ont tenté d’ouvrir une voie nouvelle pour affranchir les enfans trouvés du servage d’ignorance et de misère qui pèse sur eux et les renferme dans un cercle fatal, infranchissable, si, comme l’a dit un illustre économiste, tout enfant qui ne naît que pour la misère ne naît aussi que pour le vice. Dissiper leur ignorance, faire cesser leur isolement, remplacer l’abandon auquel ils sont livrés par une tutelle active et puissante ; en un mot, en faire des hommes robustes, intelligens et honnêtes, tel est le problème que se sont posé les fondateurs de la société d’Adoption, et nous osons croire que ce problème sera heureusement résolu.

En choisissant pour y faire l’éducation de ses pupilles un établissement agricole, la société a cherché surtout à les garantir de la corruption et de la misère des grands foyers d’industrie où s’engloutissent les populations des villes. Si cette corruption est à craindre pour l’enfant pauvre élevé par ses parens, que doit-elle être pour l’enfant abandonné ? Tous les jours, l’industrie enlève des bras à l’agriculture, sans avantage pour le bonheur ou la moralisation de ceux qu’elle reçoit dans ses rangs ; ne pourrait-on essayer de rétablir l’équilibre en rejetant vers l’agriculture ces enfans dont on peut disposer ? N’y aurait-il pas là une innovation heureuse pour le pays et même pour ces infortunés ?

La colonie agricole choisie par la société d’Adoption pour l’éducation de ses pupilles était déjà constituée et connue sous le nom de colonie agricole du Mesnil-Saint-Firmin. Fondée par M. Bazin, propriétaire du Mesnil-Saint--