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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/132

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publiés à ce sujet, et qui devaient servir d’annonce, je veux dire d’appel aux croyans.

Enfin, le 18 août 1844, la cérémonie commença. La procession des pèlerins fut, comme on sait, très considérable. La Belgique, les provinces du Rhin, l’Allemagne du sud, la France même, l’Alsace et la Lorraine, en envoyaient par troupes ; M. Marx, l’historiographe pompeux en compte un million cinquante mille huit cent quatre-vingt-trois. Peu importe que le chiffre soit exact, il est certain que l’affluence des voyageurs était extraordinaire. La présence de onze évêques, allemands ou étrangers, ajoutait encore à la solennité de la fête. Le plus grand ordre, tout le monde l’a reconnu, régnait dans les processions ; on eût dit qu’il n’y avait partout qu’une piété fervente, un sincère désir d’édification religieuse. L’Allemagne cependant considérait tout cela avec curiosité, sans paraître s’émouvoir beaucoup ; on regardait, on attendait ; ce christianisme si extérieur pouvait semble à beaucoup d’ames pieuses une cérémonie païenne, à beaucoup d’esprits éclairés une provocation imprudente, mais l’ordre n’était pas troublé, et, pendant les premières semaines, toutes les passions, sérieuses ou frivoles, toutes les réclamations, bonnes ou mauvaises, se turent. Cependant cette fête d’un autre siècle se prolongeait bien long-temps ; jamais, dans les expositions précédentes, on n’avait ainsi abusé de ces bizarres cérémonies, toujours dangereuses pour le bon sens public ; les plus importantes, celles de 1545 et de 1810, avaient duré à peine une huitaine de jours ; celle-là durait depuis un mois et allait se prolonger deux semaines encore Tout ce bruit, tout ce faste parut, à la longue, quelque chose de bien contraire à l’esprit chrétien. Puis vinrent, comme toujours, les miracles. Une nièce de l’archevêque de Cologne et de l’évêque de Munster, la comtesse Jeanne de Droste-Vischering, était infirme depuis trois ans, elle boitait ; elle obtint la permission de toucher la sainte tunique, et, dès qu’elle l’eut touchée, elle fut, dit-on, complètement guérie. L’exemple de la comtesse attira la foule ; pourquoi chaque malade n’eût-il pas été, comme elle, l’objet d’une grace spéciale ? La tentation était grande ; les aveugles, les sourds, les boiteux, arrivèrent de tous côtés ; il y eut trente guérisons trente miracles, pas un de moins, c’est M. Marx qui l’affirme. Je n’ai pas besoin de signaler les protestations qui éclatèrent aussitôt ; la comtesse de Droste-Vischering était revenue dans sa ville, à Elberfeld, et les journaux du pays firent bientôt savoir à toute l’Allemagne que la malade boitait comme devant. Laissons de côté ces tristes détails, ne poussons pas loin ces enquêtes trop humiliantes pour l’humanité.