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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/162

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griefs seront toujours aussi vifs, on n’aura remédié à rien. D’un autre côté, l’état peut-il donner une liberté absolue et rompre tous ses liens avec l’église ? Cette théorie ne soutient pas l’examen. En attendant une solution définitive, il y en a une, transitoire, il est vrai, insuffisante peut-être, mais déjà bien féconde, et il est probable qu’on ne l’oubliera pas. Ne séparez pas abîmement le spirituel et le temporel, l’église et l’état, mais élargisse les liens qui les unissent, distinguez-les davantage. Entre une union presque complète, comme celle qui existe en Prusse, et une association qui laisse à chacun sa liberté, la différence est importante. Eh bien ! la première réforme à introduire, ce sera sans doute d’enlever à l’église les registres de l’état civil. Par ce moyen, ceux qui repoussent la communion dans laquelle ils sont nés ne sont plus soumis à un symbole de foi que réprouve leur conscience ; c’est à l’état qu’ils ont affaire. Toutes les réformes doivent commencer par celle-là ; qu’il nous suffise d’indiquer ce principe.

Pour la philosophie, compromise aussi dans ces débats, on n’oubliera pas qu’elle est une puissance en Allemagne ; ni en Saxe, ni en Prusse, il ne serait prudent de toucher à ses franchises. Qu’on se rappelle la politique de Frédéric-Guillaume III, l’alliance si féconde de l’état avec la science, avec la libre pensée. Sans doute il peut arriver un temps où les doctrines régnantes entrent en lutte avec l’idée même de l’état et où cette alliance soit nécessairement rompue. Depuis la mort de Hegel, depuis que la nouvelle école hégélienne a substitué aux spéculations sublimes de la métaphysique l’intolérance étroite de son radicalisme, l’état a repoussé les disciples aussi franchement qu’il avait accueilli le martre ; il les a même combattus, mais pacifiquement, avec des armes légitimes, en leur opposant Schelling, par exemple, en essayant de recomposer à Berlin une grave assemblée, un glorieux concile de penseurs et de savans. Rien de mieux. Aujourd’hui, entraîné par la lutte, harcelé par les réclamations des amis des lumières, le gouvernement incline à la violence. Qu’il prenne garde ; derrière ce grand parti flottant, douteux, mal connu, il rencontrera la philosophie. Dans les pays catholiques, si le clergé trouble l’état, on sait le réprimer ; avec quels scrupules pourtant ! avec quels ménagemens circonspects ! comme on craint de blesser la religion ! Eh bien ! qu’on ne l’oublie pas : la philosophie, par l’influence qu’elle exerce, par les grands souvenirs qu’elle réveille, la philosophie est une religion dans la patrie de Leibnitz, de Kant et de Fichte, dans le pays où règne encore sur tant d’armes la pensée souveraine de Hegel !

Il reste enfin à dire un mot de ces exigences politiques, chaque