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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/199

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objet tentateur à la main, en lui donnant à grands cris le titre de signor capitan ! La probité des Turcs est proverbiale. Chose remarquable, on ne cite pas à Constantinople un seul exemple de vol commis par un mahométan, et des banquiers m’ont assuré qu’en toute occasion ils confiaient sans crainte de très fortes sommes à de malheureux portefaix dont ils ne savaient pas même le nom. Il n’en est pas de même des Grecs, il faut le dire. Parmi eux se rencontrent trop souvent des filous aussi adroits que les lazzaroni, et, si l’on n’y prend garde, on perd le contenu de ses poches tout aussi facilement dans les bazars de Stamboul que dans les rues de Naples. Si les Turcs ne dérobent pas, ils ne se font, en revanche, aucun scrupule, de spéculer sur l’ignorance des étrangers. De concert le plus souvent avec les garçons de place, ils les rançonnent à outrance. Il n’est, m’a-t-on dit, qu’une seule manière de les mettre à la raison. Si un Turc surfait sa marchandise, il suffit de lui dire : Tu ne crains donc pas Dieu ! Aussitôt il change de visage, donne à l’objet marchandé sa véritable valeur, et ce serait alors l’insulter, gravement que de ne le pas croire. A la rapacité ordinaire des marchands du bazar on peut opposer par exception des exemples d’un rare désintéressement. Il arrive quelquefois que de vieux musulmans à barbe blanche, connaissant peu la valeur de tel ou tel objet, laissent à votre bonne foi le soin d’en fixer le prix et vous l’abandonnent sans murmurer. En arrivant aux bazars, je m’adressai d’abord à un riche Persan, dont la boutique était abondamment pourvue de curiosités exotiques de tout genre. Selon l’usage, le marchand nous offrit des pipes, du café, et, avant de parler négoce, nous fit demander des nouvelles de France et d’Algérie. Après ce préambule obligé, je lui montrai, en en demandant le prix, une de ces écritoires finement coloriées que l’on fabrique, si je ne me trompe, du côté de Tiflis. Il en voulait deux cents piastres[1] ; j’en offris cent. Le marchand me répondit tranquillement qu’il ne vendrait pas son écritoire un para de moins, mais que, s’il pouvait m’être agréable, il me le donnerait pour rien avec grand plaisir. On trouve dans les bazars de Constantinople une étonnante variété de marchandises qui tentent souvent par leur bon marché. Les tissus de soie, les robes de chambre, les broderies d’or, les tapis de Perse, s’y vendent à bas prix. Les parfums, les pierreries, les bouts d’ambre, les fourrures, les confitures et bonbons de toute espèce, les pipes de toutes formes, les

  1. La piastre turque, qui valait 3 francs il y a quarante ans, vaut maintenant 25 centimes.