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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/212

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majorité, retrouvent intacte la fortune de leurs pères, et les Turcs ne songent pas que l’inertie de ce capital, pendant de longues années, constitue pour eux une perte réelle.

Après avoir visité les principales mosquées, nous nous rendîmes à la petite chapelle octogone dont on a fait le tombeau de Mahmoud. Son cercueil, entouré de châles magnifiques et surmonté du fez à aigrette de diamans que portait habituellement le sultan, repose sur des tréteaux de bois. De son vivant, nul souverain peut-être n’a été jugé plus diversement que Mahmoud. Porté aux nues par les uns, trop abaissé par les autres, il est mort avant que l’Europe fût bien éclairée à son égard. Maintenant que son œuvre a subi l’épreuve terrible du temps, qui met à jour la vérité et contredit si souvent les jugemens des hommes, on peut l’apprécier à sa juste valeur. Dans les leçons de son malheureux compagnon de captivité, Mahmoud avait puisé des projets de réforme qui, restés à l’état de germe dans l’esprit faible de Sélim, devaient se développer dans son ame ardente et fortement trempée. Arrivé au trône dans un temps de désordre et de crise, ayant à la fois à repousser l’envahissement des Russes et à réprimer la rébellion des pachas, qui s’érigeaient en souverains et démembraient l’empire, il fit preuve, pendant quelques années, d’une force de volonté inconcevable chez un homme énervé dès l’enfance dans les plaisirs du harem. Par malheur, son intelligence n’était pas à la hauteur de son opiniâtreté : chaque abus qu’il frappait suscitait autour de lui des abus nouveaux, qu’il n’avait pas su prévoir et qu’il ne pouvait détruire. L’ordre établi qu’il combattait était une hydre véritable qui pour une tête coupée, tournait contre son agresseur vingt têtes menaçantes. Loin d’augmenter sa puissance, ses plus grandes entreprises contribuèrent à l’affaiblir. La répression du fameux pacha de Janina coûta à Mahmoud le royaume de Grèce, et, sans l’intervention des puissances, la guerre contre Méhémet-Ali lui coûtait sa couronne. La destruction des janissaires elle-même, qui fut pour le sultan l’occasion d’un si beau triomphe, fut-elle un bien pour l’empire ? Il est permis d’en douter. Cette milice puissante, répandue dans le royaume, était, en quelque sorte, le foyer de cet esprit de fatalisme qui avait été jusqu’alors le plus fort soutien de l’œuvre imparfaite de Mahomet. L’éteindre, c’était frapper au cœur cette société essentiellement conquérante et qui ne peut vivre que par la guerre. En renversant un obstacle qui paralysait son pouvoir, Mahmoud a creusé un abîme où l’empire doit tomber, car il n’a remplacé par aucun autre mobile le mobile de l’enthousiasme religieux qu’il a