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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/25

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Dès que je reparus au couvent des dominicains, un des pères qui m’avait toujours montré un vif intérêt dans mes recherches sur l’emplacement de Munda, m’accueillit les bras ouverts, en s’écriant :

— Loué soit le nom de Dieu ! Soyez le bien-venu, mon cher ami. Nous vous croyions tous mort, et moi, qui vous parle, j’ai récité bien des pater et des ave, que je ne regrette pas, pour le salut de votre âme. Ainsi vous n’êtes pas assassiné, car pour volé nous savons que vous l’êtes.

— Comment cela ? lui demandai-je un peu surpris.

— Oui, vous savez bien, cette belle montre à répétition que vous faisiez sonner dans la bibliothèque, quand nous vous disions qu’il était temps d’aller au chœur. Eh bien ! elle est retrouvée, on vous la rendra.

— C’est-à-dire, interrompis-je un peu décontenancé, que je l’avais égarée…

— Le coquin est sous les verrous, et, comme on savait qu’il était homme à tirer un coup de fusil à un chrétien pour lui prendre une piécette, nous mourions de peur qu’il ne vous eût tué. J’irai avec vous chez le corrégidor, et nous vous ferons rendre votre belle montre. Et puis, avisez-vous de dire là-bas que la justice ne sait pas son métier en Espagne !

— Je vous avoue, lui dis-je, que j’aimerais mieux perdre ma montre que de témoigner en justice pour faire pendre un pauvre diable, surtout parce que… parce que…

— Oh ! n’ayez aucune inquiétude ; il est bien recommandé, et on ne peut le pendre deux fois. Quand je dis pendre, je me trompe. C’est un hidalgo que votre voleur ; il sera donc garrotté après demain sans rémission[1]. Vous voyez qu’un vol de plus ou de moins ne changera rien à son affaire. Plut à Dieu qu’il n’eût que volé ! mais il a commis plusieurs meurtres, tous plus horribles les uns que les autres.

— Comment se nomme-t-il ?

— On le connaît dans le pays sous le nom de José Navarro ; mais il a encore un autre nom basque, que ni vous ni moi ne prononcerons jamais. Tenez, c’est un homme à voir, et vous qui aimez à connaître les singularités du pays, vous ne devez pas négliger d’apprendre comment en Espagne les coquins sortent de ce monde. Il est en chapelle, et le père Martinez vous y conduira.

  1. En 1830, la noblesse jouissait encore de ce privilège. Aujourd’hui, sous le régime constitutionnel, le garrote est à l’usage des vilains