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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/305

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au début de la folie que se manifestent ces hallucinations mixtes qui sont comme les avant-coureurs du délire. L’esprit a encore la conscience que ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il croit toucher n’existe point ; ces images qui le poursuivent et qui le tourmentent, il le sait filles de son cerveau malade. Dans certains cas, rares il est vrai, la folie s’arrête à cette limite décisive. L’halluciné sait qu’il a des visions, il n’a point la force de s’en délivrer ; mais il conserve encore assez de liberté pour ne point leur subordonner ses actions. S’il franchit ce pas, il est perdu. Ces existences qui se passent dans une sorte de clair-obscur, entre l’état de raison et l’état de folie, défient en quelque sorte la pénétration de l’observateur. De tels esprits obsédés rougissent eux-mêmes du sujet qui les agite, et le voilent autant qu’ils peuvent. Cet état de lutte entre l’esprit, encore assez libre, et l’hallucination, qui cherche à le posséder, a un équivalent dans les dernières crises qui amènent la solution de la folie.

M. Leuret nous racontait dernièrement un cas physiologique qui nous semble se rapporter à notre sujet. Cet habile médecin avait donné ses soins à un homme du monde, d’un esprit cultivé, mais dont les facultés avaient fait naufrage. Le docteur l’exhorta vivement à réunir toutes les forces qui lui restaient afin de dominer le délire. Il lui proposa de l’assister dans ce pénible effort. Le pauvre insensé eut des retours et des rechutes nombreuses. Le médecin fut contraint de lui enlever pour ainsi dire pièce à pièce toutes les imaginations du délire. A force de déchiremens et de combats ; le malheureux finit par se séparer entièrement de la partie aliénée de sa nature : « J’ai encore mes visions, disait-il au docteur, mais je ne m’y arrête plus ; je ne les crois plus. » Cet homme était encore malade, il n’était plus fou.

La science ne nous semble pas avoir encore nettement défini cet état flottant. M. Brierre de Boismont établit bien dans son livre une différence entre les hallucinations compatibles avec la raison et celles qui se trouvent liées à l’une des formes du délire ; mais nous croyons qu’il n’a tiré une ligne assez nette entre la faculté que nous avons tous de nous figurer les objets absens et le point où cette faculté dégénère en un excès morbide. Plus les nuances sont délicates, plus il importe de les fixer. On n’est point fou pour se représenter des images ; mais le jour où ces peintures du cerveau troublent les facultés de l’esprit au point de se montrer seules, immobiles, inséparables de notre nature, le jour ou ces sensations animées se détachent de notre moi pour revêtir une forme, une existence étrangère, ce jour-là l’hallucination se déclare. La ligne de démarcation nous semble donc toute