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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/310

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toute la journée. Quelques malades donnent à ces bruits des noms qui en caractérisent la nature. Ce sont des invisibles, des babillardes ; une femme de la maison royale de Charenton se plaignait devant nous au docteur Foville de ses sylphidemens. C est surtout dans les folies religieuses, exaltées, que les voix jouent un rôle considérable. L’ame dans ce cas-là se représente en quelque sorte à elle-même si vivement, qu’elle se prend pour une autre personne distincte, et, ne trouvant rien dans le monde au-dessus d’elle que Dieu, elle met sur le compte de la Divinité ses propres inspirations. La docilité des hallucinés aux avertissemens que leur donnent ces voix est à peine croyable. Une jeune fille, pour obéir aux ordres qui lui étaient donnés, a essayé de tuer sa mère. Une autre s’est privée de parler durant cinq années entières, parce qu’on lui avait dit de garder le silence. On voit dans les salles du même hospice de jeunes filles pleines de santé qui refusent toute espèce d’alimens, parce que leurs voix leur ont défendu de manger. Les erreurs de la vue ne sont pas moins singulières. Tel malade marche à grands pas, vocifère, lance à droite et à gauche des coups qui n’atteignent que l’air ; vous avez sous les yeux un halluciné qui cherche à repousser l’ennemi acharné à sa poursuite. Une observation importante, c’est que la vision paraît quelquefois se former graduellement. Le malade sent autour de lui, dans les commencemens, la présence d’un être vague ; on lui parle à l’oreille, il voit quelque chose, il ne distingue encore rien de bien clair. Peu à peu ce chaos se débrouille, les images se forment, mais d’une manière si nette et si vive, qu’il peut parfaitement les décrire. « Ma glace est encore trouble, me disait un de ces malheureux ; attendez un instant, cela commence à paraître. » Les visions ne tardaient pas en effet à se dessiner, avec une intensité si grande, qu’elles finissaient par masquer les objets présens, réels, ou par leur donner leur figure. Les sens du toucher, de l’odorat, du goût, présentent de même mille altérations. Quelques femmes nagent dans les parfums, d’autres sont poursuivies par des odeurs insupportables dont elles ignorent la cause. Quand plusieurs sens sont hallucinés à la fois, le malade n’a plus aucun lien avec le monde extérieur ; il vit d’une existence à lui, cherchée le plus souvent dans ses souvenirs, dans les impressions anciennes, dans les images du monde où il a passé ses jours.

Une première division est à établir dans les formes des hallucinations : il y a tel cas où ce phénomène est la cause première du délire