Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prévisions ne sont peut-être pas sans fondement ; toutefois elles n’ont pu déterminer M. le ministre des affaires étrangères à se jeter dans un danger présent pour en conjurer un plus grand dans l’avenir. M. Guizot laisse dire autour de lui qu’il n’a pas assez le sentiment de sa force ; il sait mieux que personne ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas. C’est sur cette connaissance qu’il règle sa conduite et qu’il mesure sa résignation.

Au surplus, la lettre de M. Bugeaud au préfet de la Dordogne n’a rien appris au ministère ; elle ne lui a rien révélé. Le cabinet connaissait fort bien les griefs que le maréchal nourrissait contre lui ; il les connaissait d’autant mieux qu’il les avait fait naître par sa conduite envers le maréchal. À l’entrée de la session dernière, le sort du cabinet s’est trouvé entre les mains de M. le maréchal Bugeaud. Si le maréchal eût dit toute sa pensée touchant le traité de Tanger, le cabinet tombait sous sa parole ; mais pouvait-il être la cause première de la chute d’un cabinet qui lui avait fourni l’occasion de conquérir le bâton et le titre de duc ? D’un autre côté, M. Bugeaud comprit mieux à Paris qu’il n’avait pu le faire sur les frontières du Maroc les raisons politiques qui avaient pu déterminer le cabinet à restreindre ses exigences à l’égard d’Abderrhaman. Enfin le maréchal ménagea le ministère ; il avoua que sa première impression n’avait pas été favorable au traité, mais il n’insista pas, et préféra entretenir la chambre des affaires générales de l’Algérie. On sait combien il a pris à cœur son système de colonisation militaire. En retour de ses bons procédés envers le cabinet, il lui demandait les moyens d’établir quelques colons militaires sur la lisière du Tell, entre le Tell et le désert. C’était un essai qui, selon le maréchal, pouvait être mené à bien moyennant une somme de 500,000 francs. On sut bientôt que M. Bugeaud avait demandé au cabinet 500,000 francs les adversaires qu’il a dans la presse, et il en compte de fort ardens, imaginèrent d’imprimer que M. Bugeaud exigeait cette somme pour soutenir l’éclat de sa double dignité de maréchal et de duc. Cette invention, qui fut produite quand M. Bugeaud était déjà de retour en Afrique, l’indigna ; il écrivit au ministère pour qu’il eût à la démentir. Cela fut fait. Néanmoins la presse hostile au maréchal reproduisit l’assertion, et le maréchal se plaignit amèrement de n’être pas défendu, soutenu comme il pensait avoir le droit de l’être. Le gouverneur-général crut aussi s’apercevoir qu’on était assez disposé, au ministère de la guerre, à favoriser les prétentions des généraux qui pouvaient chercher à se créer une sorte d’indépendance dans leur commandement. On voit que les causes de mécontentement ne manquaient pas au maréchal. Tout cela ne justifie la fameuse lettre, mais explique sous l’empire de quels sentimens elle a été écrite.

M. le maréchal Bugeaud se plaint aussi vivement de la presse, et, dans l’expression de ses griefs, il l’associe au gouvernement. Les attaques passionnées dont il est l’objet blessent profondément cet homme de guerre, qui n’a pu encore, depuis quinze ans, s’habituer à cette licence de la presse, qu’il faut bien accepter pour être sûr d’en avoir la liberté. On répond aux