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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/390

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et inattaquable. Tout à coup un bateau à vapeur arrive qui annonce qu’O’Connell a dit vrai, et qu’il va être remis en liberté. À cette grande nouvelle, la population entière s’émeut, les cloches sonnent, des cris d’enthousiasme retentissent, des feux de joie s’allument, et en une minute l’autorité d’O’Connell est rétablie, plus forte et plus incontestable que jamais. Je ne saurais raconter ici toutes les circonstances, tous les détails, tous les épisodes de ce triomphe sans exemple. Ici c’est une longue, une immense procession qui, drapeaux et musique en tête, va chercher le libérateur dans sa prison et qui le reconduit à sa demeure ; là c’est une messe d’actions de graces célébrée par l’archevêque de Dublin lui-même dans l’église métropolitaine. Puis ce sont des banquets et des adresses où toutes les formules de l’adulation sont épuisées ; ce sont des sermons où la délivrance du Jacob irlandais est attribuée à l’intervention miraculeuse de la vierge Marie. En peu d’heures le mouvement se communique, comme par un effet électrique, d’un bout à l’autre du pays. On dirait que la nation tout entière se repent d’avoir un instant douté de son chef, et qu’elle veut, à force de dévouement et d’hommages, se faire pardonner cette erreur momentanée.

Grace à lord Cottenham, à lord Denman, à lord Campbell, O’Connell avait donc en un jour recouvré tout son pouvoir ; mais ce pouvoir, qu’en faire ? Là commençait pour lui une difficulté des plus sérieuses. Il est clair que l’Irlande attendait qu’il reprît l’agitation du rappel, et qu’il lui fit faire un pas de plus ; or, un pas de plus le conduisait à la révolte ouverte, et le sort de lord Édouard Fitzgerald, je l’ai dit précédemment, n’a rien qui tente O’Connell. Bien qu’il soutînt avec une assurance imperturbable que l’arrêt du jury et des juges de Dublin avait été cassé pour mal jugé au fond et non pour vice de forme, O’Connell d’ailleurs savait le contraire, et se souciait peu de recommencer l’épreuve. Après quelques hésitations, on le vit donc abandonner successivement le meeting monstre de Clontarf, qu’il avait d’abord promis, les tribunaux de paix institués par lui, et même le parlement au petit pied dont il menaçait depuis si long-temps l’Angleterre sous le nom de société préservatrice. Quant au rappel, il lui était impossible d’y renoncer : il essaya de le transformer. Depuis un an, plusieurs protestans, M. Sharman-Crawford entre autres et M. Grey-Porter, magistrat orangiste, s’étaient donné beaucoup de peine pour imaginer des plans qui laissassent à l’Irlande l’administration de ses affaires tout en maintenant l’union des deux pays, et ces plans, encore mal définis, semblaient ouvrir la porte à un accommodement.