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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/518

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raux qui mènent nos soldats à la rencontre d’un ennemi redoutable sentent plus que jamais le besoin d’un grand concert et d’une sincère union. Pourquoi faut-il qu’ici plusieurs organe de la presse ne montrent pas la même intelligence, et, nous le dirons, le même patriotisme ? Pourquoi chercher à créer une sorte d’antagonisme entre le gouverneur-général et ses lieutenans ? Le moment est bien choisi pour diriger contre le maréchal Bugeaud des déclamations passionnées ! Le maréchal est au plus fort d’une crise redoutable qui ébranle toute notre domination en Algérie ; il se bat, il est au feu, et cependant il y a des passions hostiles qui ne peuvent consentir à une trêve. Il y a des journalistes qui se sont donné la mission de harceler l’homme de guerre que les soldats suivent avec tant de confiance, et que les Arabes respectent. Heureusement l’armée d’Afrique est peu accessible à ces déclamations lointaines, elle les apprécie sur le terrain, et ses jugemens sont marqués au coin d’une familière indépendance.

La soumission définitive de l’Afrique est une œuvre longue, ardue, dont il ne faut pas espérer de voir bientôt le terme, et nous ne blâmons pas le ministère de faire prêcher sur ce point la patience et le courage. En Algérie, nous ne sommes pas, à proprement parler, en face d’un seul peuple ; les Arabes sont partagés en un grand nombre de tribus n’ayant de commun entre elles que la langue et la religion. Ces tribus sont presque toujours en querelle les unes avec les autres pour mille raisons qu’expliquent leurs mœurs et la configuration du sol ; elles se battent pour la possession d’une source, d’un pâturage, elles se battent aussi pour satisfaire des vengeances provoquées par des meurtres et des vols. Sous ce rapport, l’Algérie ne ressemble pas mal à la Corse. Dans les tribus, on est loin d’être d’accord sur le parti à prendre à notre égard. Les uns, désespérés des maux dont la guerre les accable depuis quinze ans, se résignent à notre domination ; les ardens, aiment mieux tout perdre que de cesser la guerre sainte. Tantôt les modérés l’emportent, alors nous nommons des kaïds, des aghas, et l’on dit que telle tribu est soumise : c’est bien, tant que les intrigues d’Abd-el-Kader ne viennent pas troubler notre triomphe ; mais lorsque l’émir, par ses espions, a préparé au sein des tribus une révolte, il paraît sur un point avec quatre ou cinq cent cavaliers. Alors tout ce qui est dévoué à sa cause se lève ; les plus fanatiques courent se joindre à lui. — C’est ainsi que nous avons vu si souvent Abd-el-Kader nous opposer plusieurs milliers de chevaux. Si nous sommes en force, tout cela se dissipe comme les nuages que balaie le vent. Les Arabes les plus compromis suivent Abd-el-Kader, et font désormais partie de sa smala ; le gros des tribus se soumet, jusqu’à ce que des tentatives nouvelles viennent les exciter encore à d’autres révoltes.

L’émir est moralement plus puissant que jamais : il est considéré, par les Arabes et par une grande partie des populations du Maroc, comme le soutien, comme le pilier de l’islam ; aussi lui arrivent de toutes parts des offrandes, des secours, des aumônes, qui l’ont fait vivre jusqu’à présent, même au milieu de ses plus profondes disgraces. L’an dernier, la victoire d’Isly semblait l’avoir frappé comme un coup d’en haut ; un moment, les populations