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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/590

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les peuples contre l’ennemi. Le lendemain de la victoire, on ne se souvenait plus du contrat de la veille ; une fois établi dans sa chaire, M. de Schelling oublia facilement son discours, et la philosophie ne quitta pas l’étude du passé pour les périlleuses épreuves de la vie active.

Ce que M. de Schelling avait promis et ce qu’il n’a osé faire, un philosophe de l’école ennemie vient de l’entreprendre avec une singulière franchise. M. Hinrichs a donné, l’an dernier, dans sa chaire de philosophie, à l’université de Halle, une série de leçons sur les intérêts présens, sur les questions les plus vives de la politique allemande. M. Hinrichs appartient à l’école de Hegel, non pas à la gauche hégélienne, à la faction irritée que conduit tant bien que mal M. Arnold Ruge. Non ; il est de la première école, il fait partie de ce groupe éclairé, sérieux, ardent toutefois, qui s’était formé autour du maître, et qui, dans toutes les universités prussiennes, à Berlin, à Halle, à Kœnigsberg, établissait solidement ses doctrines. C’est aussi là ce qui donne un intérêt nouveau à son curieux livre. Malgré la vivacité toujours croissante de ces luttes, cette ancienne école de Hegel avait jusqu’ici gardé le silence ; elle ne sortait pas du cercle que le maître lui avait tracé ; elle craignait de résumer ses conclusions pour les appliquer courageusement à la société moderne, et les journaux de la gauche hégélienne, les Annales de Halle et les Annales allemandes, la frappaient comme une ennemie. La Montagne, ce sont les écrivains même dont je parle qui s’attribuaient ces noms orgueilleux, la Montagne croyait avoir écrasé la Gironde. Aujourd’hui cependant voici un girondin qui prend la parole. Le livre de M. Hinrichs ne mérite donc pas seulement l’attention à cause des curieux documens qu’il renferme, il a un attrait plus vif, c’est le manifeste d’une grande école qui se taisait on ne sait pourquoi, et abandonnait une trop facile victoire à ses turbulens successeurs. Que ferait Hegel aujourd’hui ? On se le demande souvent avec regret. Certes, ou peut le croire, il n’aurait pas reculé dans ce développement nouveau des idées, il n’eût pas refusé de donner à la philosophie une direction plus active ; puisqu’il avait commencé en 1815 une critique très ferme et très élevée de la constitution du royaume de Wurtemherg, il aurait repris avec plus d’autorité ces fortes études. Édouard Gans aussi, bien moins circonspect que son glorieux maître, Édouard Gans, si généreux, si ardent, si avide de la vie politique, n’eût pas manqué à la tâche nouvelle imposée par les évènemens. M. Hinrichs, qui entreprend aujourd’hui cette tâche, n’a sans doute ni la pensée souveraine de Hegel, ni l’ardeur enthousiaste de Gans ; mais la bonne volonté et le talent ne lui