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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/620

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n’y avait sur le parvis que deux ou trois vieillards qui se chauffaient au soleil. Le marchand attacha son cheval à la claire-voie qui entourait le jardinet du presbytère, et suivit Mlle de Colobrières dans l’église ; tous deux s’agenouillèrent à l’entrée de la nef déserte ; puis Agathe, faisant signe à Pierre Maragnon de l’attendre, se dirigea vers la sacristie. Déjà le curé revêtait ses ornemens, assisté du garçonnet qui devait servir la messe ; c’était un jeune prêtre assez lettré, d’une piété tolérante et d’une grande vertu. De loin en loin, en visitant ses ouailles, il était allé au château de Colobrières, et Agathe était bien connue de lui. — Que la bénédiction du ciel soit sur vous, mademoiselle ! Est-ce qu’il est arrivé quelque malheur à Colobrières ? s’écria-t-il à l’aspect d’Agathe, qui s’avançait vers lui toute pâle et agitée.

— Non, monsieur le curé, répondit-elle ; c’est moi que la chose regarde, et je viens vous prier de m’entendre sur-le-champ en confession.

Le curé, fort étonné, fit signe à son petit clerc de se retirer, et s’assit après avoir fermé la porte de la sacristie. Alors Mlle de Colobriéres se mit à genoux, et, après lui avoir raconté ce qui s’était passé la nuit précédente, elle lui déclara sa résolution et le dessein avec lequel elle était venue le trouver. Le cas était étrange, embarrassant. Mlle de Colobrières, étant orpheline et majeure, pouvait se marier à son gré ; mais sa famille avait à la rigueur les moyens d’attaquer cette mésalliance : il fallait d’ailleurs accomplir préalablement les formalités exigées, sauf les cas exceptionnels, par les lois ecclésiastiques. Le bon prêtre refusa d’abord ; peut-être espérait-il qu’Agathe renoncerait à sa résolution, et se laisserait ramener sans scandale et sans bruit à Colobrières. Au premier mot qu’il lui en toucha, elle se releva et lui dit d’un ton ferme : — Non, monsieur le curé, je n’ai pas fait ce pas pour reculer, je suivrai Pierre Maragnon où il lui plaira de me conduire, et il m’épousera quand il voudra ; mais c’est pour vous un cas de conscience de me laisser partir ainsi : puisque j’ai résolu de m’en aller avec lui, ne vaudrait-il pas mieux que ce fût comme sa femme que comme sa maîtresse qu’il m’emmenât ? Hélas ! si nous faisons une telle faute l’un et l’autre, c’est bien malgré nous.

Cette espèce de raisonnement alarma le curé. C’était un homme vraiment religieux, d’une conscience timorée, d’un caractère droit et décidé.

— Mademoiselle, dit-il après réflexion, je consens à vous marier ; que Dieu vous fasse la grâce de vivre ensuite sans regret, sans repentir ! Après la cérémonie, j’irai trouver M. le baron de Colobrières. Ce