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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/632

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— C’est Mlle Irène de la Roche-Lambert, ma gouvernante et la demoiselle de compagnie de ma mère, répondit simplement Éléonore.

— Comment ? ma cousine, votre gouvernante est une personne de qualité ? observa Anastasie avec une naïve impertinence.

— Mais oui, répliqua Mlle Maragnon en riant ; une autre fois je vous la présenterai ; pour aujourd’hui, j’aime mieux qu’elle s’en retourne à Belveser, près de ma mère.

— À Belveser ! répéta Anastasie, en tournant ses grands yeux brillans vers l’horizon, où les murs écroulés de la tour formaient sur le ciel des échancrures noires ; est-ce qu’il peut y avoir là-bas d’autres habitans que des chauves-souris ?

— Je vous y mènerai, j’espère, et vous verrez ! répondit Éléonore, en prenant le bras de sa cousine pour rentrer dans la salle.

Tandis que le baron discourait, après avoir renouvelé l’ordre de servir le souper, la Rousse et le vieux domestique tenaient conseil dans la cuisine en présence du cadet de Colobrières, qui s’écriait d’un air consterné :

— Mais c’est une honte de faire souper cette belle demoiselle avec un plat de lentilles et une croûte de fromage !..

— Quel dommage qu’elle soit arrivée tout juste aujourd’hui, un samedi, veille d’une bonne fête ! disait la Rousse ; le gibier à poil et le gibier à plume ne manquent pas dans le garde-manger ; mais, un jour maigre, M. le chevalier !… Il aurait mieux valu que vous m’apportassiez une douzaine d’œufs que ce beau coq de bruyère…

— Comment ! il n’y aura pas même moyen de faire une omelette, et de nous procurer une assiette de fruits ? s’écria Gaston.

La Rousse secoua la tête. — Non, monsieur le chevalier, répondit-elle en soupirant ; nos poules courent à travers champs et pondent je ne sais où depuis une semaine. Il n’y a que Cocotte, celle de Mlle Anastasie, qui ne sort pas d’ici ; mais la maudite bête est toujours à rôder dans les chambres d’en haut : je suis sûre qu’elle cache ses œufs dans le recoin du balcon, près de l’endroit qui s’est écroulé dernièrement.

— Ah ! tu crois qu’elle a pondu là ses œufs ? demanda le cadet de Colobrières.

— Oui, répondit la Rousse ; mais comme le plancher est à moitié écroulé, et qu’on ne peut arriver au balcon sans risquer vingt fois de se rompre le cou, les œufs ne sortiront de ce nid que sous la forme de petits poussins.

— Il y a bien aussi quelques belles poires sur le grand poirier au