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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/641

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l’en priver, il rendit froidement la pension, et se dégagea de ce patronage ruineux et exigeant.

Sentir sa dignité, c’est l’assurer et l’accroître. Il est probable aussi, bien que les lettres de Burke n’en disent rien, que la politique altière de Chatham, imposant à tous les serviteurs du cabinet une aveugle obéissance, déplaisait fort à l’indépendance de cet esprit spéculatif et de cette ame réglée par des maximes austères. En 1765, W. Fitzherbert l’introduit près de lord Rockingham, chef des whigs modérés et représentant de ces grandes familles qui avaient fait et soutenu la révolution de 1688. La bienveillance du caractère, l’agrément du commerce, la douce sévérité de la vie privée, rapprochaient naturellement Burke du marquis ; principes, habitudes, idées, entre eux tout coïncidait. D’abord secrétaire particulier de ce seigneur, qui devient premier ministre (first lord of the Treasury) en juillet 1765, Burke est élu, par son influence et celle de lord Verney, membre des communes pour le bourg de Wendover le 26 décembre suivant. La vie politique lui est ouverte.

On a dit de Pitt, dans ce recueil même, que les opinions accréditées à son égard en France sont les plus fausses du monde ; cela est vrai de Burke comme de Pitt. Il est surprenant que nul biographe, pas même M. Prior, n’ait compris l’unité parfaite à laquelle la carrière de Burke a été soumise. L’aristocratie whig de 1688, tel est l’idéal de sa politique ; Rockingham en est le symbole ; il l’adopte en 1765, et il ne s’en départira plus ; il n’est et ne sera ni whig comme Chatham, ni révolutionnaire comme Wilkes, ni tory comme North, encore moins jacobite comme Hume, ou monarchiste comme M. de Maistre. Je lis dans une biographie de Burke, récemment publiée, que le plus grand et le plus violent apostat des temps modernes fut Burke, et que cet écrivain, qui devait terminer sa carrière par une malédiction contre la liberté, la commença par un pamphlet en faveur de l’anarchie. Ce pamphlet existe. C’est une satire et une parodie. Le but de l’auteur a été de rendre odieuses les théories démocratiques en poussant à l’excès leurs conséquences, et cet ouvrage, que l’on donne pour un libelle ultra-républicain, est l’ironie la plus amère et la plus injuste des doctrines républicaines.

Assurer le pouvoir aux mains des grandes familles whigs, apaiser doucement les mécontentemens des colonies américaines et les conserver, repousser la démocratie avec force et le favoritisme tory avec dedain : tel était le programme du cabinet Rockingham, contenu, comme on le voit, dans les limites de cette modération philosophique