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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/657

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En vain Francis, homme d’esprit et de portée, dans une lettre des plus remarquables, lui indique-t-il les vieilles plaies de la France[1] et lui démontre-t-il que ce « message mal réglé, » comme le disait un prévôt des marchands de 1666, ne pouvait finir autrement. « Vous détestez les violences ? lui dit-il, et moi aussi. Les commotions sont effroyables ; mais quand le repos et la santé ne peuvent s’acheter qu’au prix de l’orage ? Est-ce que Dieu n’a pas ordonné ou permis à la foudre de troubler le monde, afin de purifier les élémens ? » Francis, homme supérieur acceptait le renouvellement des empires, dont Burke ne comprenait que la stabilité. De ces deux élémens qui concourent à la vie sociale, mobilité et permanence, chacun d’eux avait choisi celui qui convenait à son caractère. Le voyageur et l’homme du monde, Francis, ne pensait pas comme le solitaire, le cultivateur et l’homme de lettres de Beaconsfleld.

Dans son implacable haine de l’injuste, dans son amour du passé et de la loi, Burke n’hésite pas. Il veut que des armées étrangères imposent à la France la paix intérieure. Il pose en principe la nécessité de l’intervention. Il est plus aristocratique que les seigneurs, car il l’est par principe : non qu’il prétende, comme le croit lord Brougham dans d’excellentes pages, ramener la monarchie française à son despotisme antique ; c’est toujours la constitution de 1688 qu’il a en vue, il ne s’en écarte pas. Il stipule d’avance[2] des garanties de liberté constitutionnelle ; il lui faut une charte, deux chambres, une noblesse héréditaire, les grandes familles au pouvoir. Il voudrait que l’inviolable respect de la propriété, celui des titres, des familles, des races, fût la base universelle du code social, en France comme en Angleterre. Il s’irrite de voir que la révolution de 1688 est à jamais dépassée, que c’est à la féodalité surtout que l’on s’attaque, que la démocratie pure, déjà installée en Amérique, s’établit en France, et donne l’exemple à l’Angleterre. Son accent devient furieux jusqu’à la rage, comme celui d’un homme blessé dans sa passion. Aussi, lorsque ses amis et ses collègues de L’opposition, les whigs de nuances diverses, tendirent la main à la révolution française, à cette grande ruine qui menaçait, selon lui, d’écraser l’Angleterre et d’ensevelir l’institution de 1688, quelle fut sa terreur ! Il résolut de briser avec tous ceux qu’il avait aimés, avec Francis, avec Fox, avec Sheridan s’ils ne renonçaient à l’instant même à leur alliance avec l’ennemi public.

  1. Tome III, p. 168.
  2. Ibid., p. 348, 349, 351.