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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/80

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soulevées par certains ministres de la religion n’atteignent la religion elle-même ; mais les regrets ou les craintes qu’inspire la réaction ultracatholique à une notable portion du clergé inférieur ne vont jamais jusqu’à une protestation formelle. Les plus audacieux se bornent à déployer moins d’intolérance qu’on n’en exige d’eux, et souvent ils le paient cher. Avanies, censures, menaces, exclusion de tout avancement, missionnaires qui s’abattent chaque année sur les cures suspectes, condamnant ce que le curé tolère, approuvant ce qu’il a déconseillé, tout est mis en œuvre pour décourager les desservans indociles, ou tout au moins pour les déconsidérer. Ici un prêtre, qu’un journal libéral avait félicité de se montrer plus modéré que les autres, est forcé de signer une protestation violente en faveur des jésuites et contre les libéraux. Ailleurs un autre prêtre, véhémentement soupçonné de libéralisme, et qui à ce titre de réprobation joignait celui de directeur d’un collége royal, est diffamé presque publiquement par le jésuite à la mode. L’offensé ose se plaindre, mais, menacé aussitôt d’interdiction, il publie une rétractation humiliante dans les journaux. Ce n’est pas tout : les jésuites exigent une rétractation formellement louangeuse pour leur ordre, et, afin de rendre l’intimidation plus efficace, les révérends pères refusent la confession aux élèves du collége dirigé par l’ecclésiastique récalcitrant.

C’est presque à regret que je nomme ici les jésuites, car, autour de ce mot, se groupent chez nous certaines exagérations, dont le moindre défaut est l’inutilité : mais en Belgique, où le radicalisme des institutions a formidablement armé la compagnie, et offert à son esprit accapareur un appât auquel de moins ambitieux n’eussent pas résisté, il faut être aveugle ou se résigner à la voir en tout et partout. Le clergé inférieur n’est pas du reste le seul à trouver son joug pesant. Les évêques, qui n’ont vu long-temps dans la compagnie qu’un instrument passif, se sentent déjà débordés par elle. Ces symptômes de défiance sont encore très vagues ; la plupart ne dépassent guère la porte de la sacristie. Un seul, que voici, m’a paru très concluant. L’an dernier, deux vicaires de Tournay sollicitent de leur évêque l’autorisation d’entrer au couvent des rédemptoristes de Saint-Trond. L’évêque refuse, et les deux vicaires demandent conseil à un liguoriste de l’endroit. Celui-ci répond qu’il ne peut les délier lui-même du serment d’obéissance, mais que le général de l’ordre a plein pouvoir à cet effet. Les deux vicaires écrivent à Vienne, obtiennent l’approbation du général, et disparaissent un beau matin, sans avertir ni l’évêque ni le curé. La feuille de l’évêché s’est plainte assez aigrement de cet