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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/813

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nance affranchit ! Et le gouvernement, retenu par je ne sais quelles considérations inexplicables, tolère un pareil état de choses et ne dit rien !

Des quarantaines de France aux quarantaines d’Autriche la transition est facile, et je reviens, sans plus de façon, au lazaret d’Orsova. A l’expiration des quatorze heures, c’est-à-dire le lendemain matin au lever du soleil, un médecin, vêtu de noir, entra dans notre petite cour, et nous donna à tous une cordiale poignée de main, nous exprimant ainsi qu’il nous considérait comme des gens parfaitement sains et tout-à-fait incapables d’infecter l’Autriche. — Êtes-vous bien sûr, monsieur, lui demandai-je, que ces petites murailles aient la vertu de purifier en une seule nuit des voyageurs qui, hier soir encore, pouvaient avoir la peste ? L’homme de la science se mit à rire, haussa les épaules et nous quitta. On nous avait recommandé d’ouvrir nos malles et d’exposer nos vêtemens à l’air afin de dissiper le germe fatal qu’ils pouvaient renfermer. Nous n’eûmes garde d’obéir, et nous quittâmes le lazaret sans que personne en fît l’observation. Il ne nous fut pas si facile, à beaucoup près, de nous débarrasser des formalités de police et de douane qui nous retinrent quatre heures, bien qu’elles fussent provisoires, car la surveillance minutieuse de l’Autriche nous attendait aux portes de Vienne.

Notre intention était de suspendre pour quelque temps toute navigation, et d’aller nous reposer deux ou trois jours, en terre ferme, à Mehadia, petite ville renommée pour ses eaux minérales, située sur la frontière, à trois ou quatre lieues d’Orsova, et assez curieuse, nous disait-on, à observer en ce moment. Toutes formalités réglées, nous frétâmes une patache qui nous conduisit sans trop de lenteur à notre but, à travers un pays pittoresque assez semblable à certaines parties des Pyrénées. Mehadia même, bourgade neuve, élégamment bâtie dans une gorge et dominée par de hautes montagnes, rappelle, par sa situation, les Eaux-Bonnes. Seulement elle paraît plus riche, plus coquette et, je dirai volontiers, plus civilisée. Un joli petit pont de fer qu’on traverse en arrivant, des pelouses que la nature a pris soin de dessiner agréablement, des massifs de sapins bien posés, donnent tout d’abord à ses environs un air de parc anglais.

Il y avait grande affluence à Mehadia, et nous fûmes surpris en arrivant du spectacle étrange qu’offrait la population passagère de cette petite ville, où la société hongroise se réunit à la fin de l’été à la société valaque. On voyait çà et là de brillans équipages, fort bien attelés, et dans le goût desquels perçait cette anglomanie qui possède en ce