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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/820

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Garcilaso, un grand poète et un brave capitaine, fut blessé mortellement à l’assaut, et l’empereur son maître, qui l’aimait, ne fit pas quartier aux assiégés : un Colobrières qui les commandait fut tué sur la brèche. Gaston m’a lu cette histoire à la veillée. Allez ! ma cousine, c’est un beau titre que celui de dame de Belveser ! C’est un noble édifice que cette vieille tour ; seulement, je ne puis concevoir comment vous avez trouvé un endroit pour vous y loger.

— Loger là-haut ? fit Éléonore avec un sourire ; personne ne s’en est avisé, je crois, depuis le passage des soldats de l’empereur Charles-Quint. Ma mère a préféré bâtir un autre château.

— Un château ! répéta Anastasie en parcourant des yeux toute la plaine.

— Venez reprit Éléonore ; montons au sommet du donjon, et de là je vous montrerai l’endroit où demeure à présent ma mère. Peut-être en ce moment, assise sur la terrasse, elle tourne les yeux de ce côté.

— Jamais je ne suis montée seule à la tour, répondit Anastasie, dont la curiosité était fort excitée ; mais nous allons appeler Gaston.

Elles descendirent en se tenant par la main. Il n’y avait personne dans la salle : le baron était entre les mains du frater qui chaque dimanche venait lui faire la barbe ; Mme de Colobrières querellait la Rousse dans sa cuisine, et Gaston était devenu invisible.

— Ah ! le méchant sauvage ! dit Anastasie après l’avoir vainement appelé ; ma cousine, je crois qu’il a peur de votre joli visage.

— Il faudra pourtant bien qu’il s’y habitue, répondit gaiement Éléonore.

— Nous pouvons monter seules dans la tour, reprit Anastasie ; il n’y a là-dedans ni loup-garou, ni méchante fée, ni personne. Allons ! allons !

Plus loin que la cour d’honneur, et en arrière du corps de logis principal, le terrain était coupé par un fossé dont de grandes ronces masquaient la profondeur. Au-delà de cette espèce d’abîme s’ouvrait la porte du donjon. L’on y arrivait autrefois par un pont-levis ; mais ce moyen de communication n’existait plus depuis long-temps, et l’on y avait suppléé en comblant le fossé, de manière à former une étroite chaussée soutenue par des pentes en talus. La peureuse Eléonore traversa craintivement ce sentier sur les pas de sa cousine ; elle entendait les lézards verts frétiller sous les ronces, et la raine coasser tristement au pied de la vieille tour. Ces bruits, auxquels son oreille n’était pas habituée, lui causaient une impression indéfinissable, et le