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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/924

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encouragé par les applaudissemens universels ; dans le World (le Monde), on lisait, en 1740, la facétie suivante, sortie de la plume de Chesterfield, et que George II eut grand’peine à lui pardonner. Un petit prince allemand est censé parler :

« … Il n’y a pas autour de moi, dit-il, un prince qui n’ait augmenté ses forces, l’un de quatre, celui-là de huit, et celui-ci de douze hommes, de sorte que vous devez comprendre qu’il y allait de mon honneur et de ma sûreté d’augmenter les miennes. J’ai donc porté mon armée à un effectif de quarante hommes, de vingt-huit que j’avais auparavant ; mais, afin de ne pas surcharger mes sujets de taxes, pour leur épargner le logement et l’insolence de mes troupes, et ne pas leur faire craindre de projets contre leurs libertés, je vous dirai entre nous que mes quarante soldats sont en cire, et qu’ils manœuvrent par un mouvement d’horloge. Vous pouvez voir, ajoutait-il, que, si je courais un danger réel, mes quarante hommes de cire sont aussi rassurans pour moi que s’ils étaient de chair et de sang, et du meilleur de la chrétienté ; quant à l’apparence et à la dignité, ils valent tout autant, et en même temps ils me coûtent si peu, que nous aurons à cause de cela un bien meilleur dîner.

« Mon ami lui exprima son approbation sincère de ses mesures sages et prudentes ; il m’assure n’avoir vu de sa vie d’hommes mieux faits, mieux assortis pour la taille, ni de plus belles figures de soldats.

« L’ingénieuse invention de ce prince vaillant et sage me donna immédiatement l’idée qu’en y faisant quelques légers changemens, on en pourrait tirer un parti très avantageux pour le bien général. J’ai médité et retourné cette pensée dans mon esprit avec la plus grande attention, et je la présente à mes lecteurs, en déclarant que je suis prêt à recevoir les avis et à profiter des lumières des personnes plus instruites que moi dans la science militaire.

« Je propose donc humblement qu’à partir du 25 mars prochain (1736) la nombreuse armée actuelle, qui coûte beaucoup, soit entièrement licenciée, à l’exception toutefois des officiers, et que des personnes compétentes soient autorisées à passer un marché avec mistriss Salmon pour former le même nombre d’hommes de la cire la plus fine ; que les mêmes personnes soient également autorisées à traiter avec Myn Herr Von Pinchbeck, l’ingénieux artiste, pour le mécanisme du nombre d’hommes précité.

« On a pris depuis peu, mais en vain, des peines infinies pour amener notre armée actuelle à l’état de propreté et de perfection d’une armée de cire : on a reconnu impossible de se procurer un grand nombre d’hommes tous de la même taille, faits de même, portant leurs cheveux, passant tous exactement et simultanément par les temps de l’exercice, et surtout ayant dans le regard une certaine fierté militaire qui n’est pas naturelle aux figures anglaises. On a été obligé de réformer même plusieurs officiers des plus marquans, parce qu’il leur manquait QUELQUES-UNEs DES PROPRIÉTÉS DE LA CIRE. Avec une armée comme la mienne, le plus âpre et le plus avare des sergens ou des monarques sera content. »