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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/977

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étions-nous attendus sur toute la côte, et l’on voit que, dès les premiers pas, nous ressentions l’influence de ces puissantes recommandations. Suivant donc notre vieux guide, nous revînmes en terre ferme, et, prévenu sur-le-champ de notre arrivée, le desservant de cette petite cure se hâta de courir à notre rencontre, et de nous offrir sa maison que nous acceptâmes avec empressement.

Le village de la Torre dell’Isola est une sorte de fief appartenant au comte de Capaci. Les maisons, au nombre de cent environ, sont basses, petites, mais assez propres extérieurement. Presque toutes sont construites aux frais du propriétaire qui les loue à ses tenanciers moyennant une faible redevance. Le nombre des habitans est d’environ douze cents. Jetée sur cette langue de terre que se disputent les sables et les rochers et où les cactus sont la seule culture possible, cette population est entièrement adonnée à la pêche. Au moment de notre arrivée, presque tous les hommes étaient absens, et ne devaient rentrer qu’après la saison des sardines ; car la mer a, comme la terre, ses moissons qui viennent presque à jour fixe, mais avec cette différence tout à l’avantage des récoltes marines, qu’elles n’ont pas exigé de semailles.

La maison seigneuriale domine le petit havre de cette bourgade maritime. Construite dans un double but, elle servait jadis à loger le maître du lieu et à préparer les thons qui venaient se faire prendre non loin de l’île des Femmes ; mais, depuis bien des années, les poissons ont déserté ces parages, et les propriétaires sont absens. Aussi a-t-on livré ce logis au desservant du village. Celui qui remplissait ces fonctions lors de notre visite était un pauvre dominicain qui, pour 45 tari, moins de 20 francs par mois, célébrait la messe tous les dimanches, confessait les mourans, bénissait les mariages et baptisait les nouveau-nés. Malgré sa misère, le brave homme aimait les bêtes, et trouvait les moyens de faire vivre autour de lui cinq ou six oiseaux en cage, quelques poules, trois chats et deux chiens. Leur donnait-il à manger ? je l’ignore. A voir leurs physionomies affamées, il était permis d’en douter. Les chiens surtout étaient d’une maigreur fabuleuse : c’était la machine animale réduite à sa plus simple expression. Évidemment les malheureux avaient grandi en mourant de faim.

Seul avec ces compagnons dans l’ancienne habitation des comtes de Capaci, le padre Antonino put sans se gêner nous céder trois grandes pièces où tout respirait l’abandon. Sur les murs nus, sur les plafonds crevassés, on distinguait à peine quelques linéamens d’antiques fresques tombées en poussière sous le souffle corrosif des vents