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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/990

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lui, elle dit d’une voix altérée et le front couvert d’une subite rougeur : — Bonjour, mon cousin.

Le cadet de Colobrières remarqua qu’elle ne lui tendait pas la main comme de coutume, et quelque amertume se mêla à la joie qui faisait battre son cœur, — Que c’est mal à nous de n’être pas arrivés les premiers ! s’écria-t-il avec un vif sentiment de regret. Ma cousine, vous avez attendu peut-être… Mais où donc est Dominique ? ajouta-t-il en apercevant de loin Mlle Irène assise toute seule au pied de la Roche du Capucin.

— Il est parti, répondit Éléonore ; il est retourné à Marseille avec mon oncle.

En entendant ces paroles, Anastasie sentit le doux contentement qui l’animait se changer tout à coup en une mortelle tristesse. Un douloureux étonnement lui serra le cœur, un moment elle cessa de respirer ; mais rien, dans sa contenance, ne trahit cette secrète angoisse, elle dit seulement avec un soupir : — Il y a huit jours, quand nous nous promenions si gaiement dans l’Enclos du Chevrier, nous ne nous attendions pas à cette prochaine séparation.

— Dominique est parti depuis quatre jours, reprit Éléonore d’une voix altérée, et bientôt ma mère et moi, nous quittons aussi Belveser.

— Bientôt ! s’écria le cadet de Colobrières en pâlissant ; bientôt, dites-vous ! Et vous êtes venue ici aujourd’hui pour nous faire vos adieux ?

— Hélas ! nous partons demain ! dit Mlle Maragnon en tâchant de retenir ses larmes… Mon oncle voulait nous emmener avec lui ; mais jamais, jamais je n’aurais consenti à m’éloigner sans revenir ici une fois encore…

— Vous nous quittez ! vous vous en allez pour toujours peut-être ! dit Mlle de Colobrières. Oh ! ma chère Éléonore, que j’étais loin de m’attendre à ce cruel chagrin !

— Ce départ, ma cousine, vous n’y songiez pas il y a huit jours, ajouta Gaston avec l’accent de la plus profonde tristesse ; il y a huit jours, nous faisions des projets pour le reste de l’hiver.

— Hélas ! pouvais-je prévoir ce qui est arrivé ? répondit Mlle Maragnon en soupirant. Tout est changé pour moi.

Elle s’assit au bord du sentier, sur le tronc renversé d’un vieux saule, et, prenant Anastasie par la main, elle l’attira doucement auprès d’elle. Gaston resta debout en face des deux jeunes filles. — Ma bonne cousine, reprit Éléonore d’un ton d’abattement et de mélancolie qui contrastait singulièrement avec ses paroles ; ma bonne