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dans la grasse oisiveté à laquelle on se laissait aller chez les bénédictines, les visitandines et autres communautés dotées par d’opulens bienfaiteurs. Les religieuses de la Miséricorde restaient moins de temps au chœur que dans la salle de travail ; elles faisaient de merveilleux ouvrages à l’aiguille et créaient sur le métier des chefs-d’œuvre auprès desquels ceux de la Lydienne Arachné auraient paru d’imparfaites ébauches. Leur vie se passait à confectionner ces délicates broderies, ces magnifiques dentelles dont se paraient les dames de la cour, et que les grands seigneurs d’autrefois portaient en jabot et en manchettes. Il y avait tel falbalas auquel ces ouvrières cloîtrées travaillaient pendant un an, et qui sortait de leurs pieuses mains pour orner le jupon court d’une danseuse ; il y avait telle paire de manchettes dont les jeunes novices achevaient à peine l’impalpable réseau, lorsque quelque petit-maître les oubliait sur la toilette d’une marquise ou les déchirait dans une orgie.

En quittant le parloir, la mère Angélique emmena Mlle de Colobrières à travers une longue galerie sombre, sur les côtés de laquelle s’ouvraient une vingtaine de petites portes. C’était le dortoir des religieuses. Au centre, il y avait une grande horloge surmontée d’une croix. Quelques toiles sans cadre, barbouillées d’horribles peintures, décoraient les murs ; les saints qu’elles représentaient semblaient faire sentinelle à chaque porte et prêter l’oreille au mouvement de l’horloge, dont l’aiguille marquait toutes les secondes de leur éternité. Un froid glacial suintait pour ainsi dire des lambris et pénétrait l’ame comme le corps. La pauvre Anastasie sentit se renouveler l’impression qu’elle avait éprouvée en passant la porte de clôture ; elle s’arrêta en frissonnant, et dit d’une voix faible : — Quelle obscurité ! quel silence ! On dirait qu’il n’y a personne dans cette maison !

La supérieure sourit et leva un doigt vers l’horloge, qui, presque au même instant, sonna midi. Les douze coups retentissaient encore, lorsqu’un joyeux bourdonnement s’éleva dans l’intérieur du couvent ; des voix enfantines se mêlaient à des voix plus graves, et leur babil animé se faisait entendre jusque dans le dortoir.

— Voilà nos pensionnaires qui entrent en récréation, dit la mère Angélique ; mes chères petites brebis folâtrent dans le préau, et leur gaieté se répand dans toute la maison. Vous ne les rencontrerez guère qu’à l’église, ma chère fille ; mais vous pourrez les voir rire et s’amuser par la fenêtre du dortoir de novices ; c’est un divertissement que je vous permettrai quelquefois.

— Merci, ma chère mère, répondit Anastasie, qui commençait à