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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1014

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mœurs se relâchent[1]. Quelle conséquence tirer de ces résultats ? Faut-il démoraliser la population pour diminuer le nombre des enfans trouvés ? Le remède serait ici pire que le mal. Nous aurons à voir si des mesures dictées par une sollicitude éclairée et charitable pour les filles-mères ne conduiraient pas plus sûrement au même résultat. Le sort de ces filles mérite encore plus de pitié que de blâme, car leur supplice vient d’un sentiment honnête : c’est ce qu’on garde de vertu dans le vice qui fait rougir.

Si des motifs d’honneur et de délicatesse déterminent quelques mères à se séparer de leurs enfans, le désordre des mœurs n’entraîne-t-il point d’un autre côté les mêmes conséquences ? Ici la réponse, il faut l’avouer, est moins facile. On ne peut nier que la débauche ne soit une cause d’endurcissement. Cependant il ne faudrait pas s’en exagérer l’importance. Des médecins dont le témoignage s’appuie sur une longue et constante pratique dans nos grandes villes assurent que les filles les plus libertines, les plus éhontées, sont souvent les plus désolées, les plus malheureuses, quand la nécessité les oblige à se séparer de leurs enfans. Si quelques économistes ont classé la débauche parmi les causes dominantes d’exposition, c’est qu’ils ont confondu son influence avec celle de la vie dissipée, des mœurs oisives au milieu desquelles elle se produit souvent. Les habitudes de coquetterie et de dissimulation que cette vie entraîne mènent plus rapidement encore que le désordre à l’oubli des devoirs maternels. Des femmes qui falsifient tout jusqu’à leur visage finissent par user la délicatesse et pour ainsi dire la fleur de leurs sentimens, comme elles altèrent la fraîcheur de leur teint sous le fard dont elles se couvrent. Les mères insensibles aux douceurs de la maternité se rencontrent en assez grand nombre parmi les filles de théâtre, les femmes entretenues et cette nouvelle variété de femmes galantes connues sous le nom de lorettes. De telles personnes se sont habituées à tromper tous les sentimens de la nature. Elles élèvent à grands frais dans leurs appartemens des aras, des singes, des lévriers, et elles font porter leur enfant à l’hospice, se déchargeant sur la charité publique du soin de pourvoir à sa nourriture. Une naissance n’est, pour ces créatures

  1. A Strasbourg, par exemple, où l’opinion est très tolérante, plusieurs maternités précèdent en général le mariage dans les classes inférieures, et cette violation de la pudeur n’entraîne pourtant qu’un nombre assez faible d’enfans trouvés. La raison en est simple : ces filles-mères trouvent aisément à se placer avec leur nouveau-né, en qualité de nourrices, chez les bourgeois de la ville, qui ferment les yeux sur une faiblesse regardée comme tout ordinaire.