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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1018

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n’est, pour de tels êtres, qu’une marchandise dont ils n’ont pas même à supporter les avaries. Les tribunaux ont sévi çà et là contre ces criminels abus ; mais, il faut bien le dire, ils ont sévi mollement. La crainte d’un jugement et de quelques mois de prison ne suffit pas à éloigner ces spéculateurs sans ame et sans pudeur d’un métier qui leur produit de beaux bénéfices. Il faudrait d’ailleurs plus qu’une répression accidentelle pour arrêter la pratique de telles manœuvres ténébreuses ; il faudrait un système de surveillance bien établi et sévèrement pratiqué.

Les officiers de santé ne sont pas toujours demeurés étrangers à de semblables actes ; mais, de toutes les instigations qui poussent les filles-mères à l’abandon de leurs nouveau-nés, la plus puissante dans les grandes villes, c’est l’entremise des sages-femmes. Nous devons arrêter ici quelques instans notre attention sur une plaie affligeante et peu connue. L’institution des sages-femmes n’est point condamnable en principe ; elle a pour but d’offrir à la mère, dans les classes pauvres, des secours qu’elle ne peut réclamer du médecin, de fournir aussi un asile secret et assuré aux jeunes filles qui se trouvent dans la nécessité de donner clandestinement le jour à un enfant. Si de tels services sont utiles, la nature même de cette utilité les rend dangereux pour la morale publique. Il ne faut pas que la jeune fille ou la femme mariée qui a commis une faute ne puisse la cacher ; si telle était l’intention du législateur, il aurait voulu multiplier le suicide et l’infanticide. La force des préjugés est si grande en effet, que souvent on a recours au crime pour masquer une faute. La femme chez laquelle tous les sentimens d’honneur et de délicatesse frémissent encore se détruira ou détruira son enfant, plutôt que de divulguer sa faiblesse. Elle tue pour qu’on ne sache pas qu’elle a aimé, c’est-à-dire qu’elle a été femme. Dans un tel état de choses, on comprend la nécessité d’un asile mystérieux où cette infortunée reçoive tous les soins que réclame son état. Cet asile de l’amour trompé, souvent même du repentir, existe chez la sage-femme. Celle qui prend à petit bruit le chemin d’une de ces maisons de refuge ne lui confie pas seulement sa vie, son enfant, mais encore son secret ; elle s’y décide avec d’autant moins de peine, que la sage-femme, avant tout, est femme, et qu’à ce titre elle comprend les faiblesses de son sexe. On lui dit ce qu’on n’oserait pas dire au médecin, ce qu’une timidité bien naturelle fait cacher même aux parens. La sage-femme est donc, sous ce point de vue, un confesseur qui a charge d’ame. Plus de telles fonctions sont importantes et délicates, plus l’abus en est facile : ce voile de mystère qui protége