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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1029

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une tentative qui aggrave le principe du mal au lieu de le détruire. Il y a des délits tellement contraires à la nature, que l’administration doit paraître les ignorer ; il y a des secours qui tombent sur des besoins si délicats, qu’elle ne doit point intervenir directement dans la distribution de ces secours. La providence de l’état doit être vis-à-vis des enfans trouvés comme la providence divine, qui cache sa main.

L’administration a prétendu en outre se réserver par l’admission à bureau ouvert un droit d’examen sur les expositions. Ce droit s’est exercé et même assez sévèrement dans quelques provinces. Le résultat d’une telle information a été le refus d’un grand nombre de nouveau-nés à la porte de l’hospice, et le refoulement de ces nouveau-nés dans les bras de leur mère. Nous ne doutons pas que dans les provinces, où il est plus facile à l’administration d’exercer son contrôle vis-à-vis des habitans, les motifs d’exclusion n’aient été fondés sur un examen sincère des moyens d’existence. En voilà assez peut-être pour justifier les auteurs de l’enquête ; mais les nouveau-nés rendus de vive force à leurs mères, comment sont-ils reçus, comment sont-ils traités ? Il a souvent fallu que le maire ou le préfet, suivi d’autres officiers publics, se rendît au domicile des femmes qui venaient d’accoucher pour leur faire reprendre leur enfant. Rien ne manquait à de telles scènes de contrainte et de violence. Comment ne pas trembler ensuite pour le sort d’un être frêle et sans défense ainsi imposé de vive force aux soins de celle qui lui a donné le jour ? Cette femme cède à la crainte, à la nécessité : elle se vengera. L’autorité, dit-on, a les yeux sur elle, mais l’autorité ne voit pas tout. A peine l’action des officiers publics s’est-elle éloignée, que l’enfant est exposé de nouveau sur un grand chemin ; ou, si la mère le garde, c’est pour lui faire sentir sa colère. En fermant brusquement la voie des tours, on multiplie le nombre de ces petits martyrs domestiques, pour lesquels le toit maternel est un enfer et l’existence une mort mille fois répétée. C’est pour fuir les mauvais traitemens de la femme chargée malgré elle de remplir les devoirs de la nature, qu’un grand nombre de jeunes garçons et de jeunes filles s’échappent, et vont se jeter chaque jour dans le vice, dans la misère ou dans le vagabondage. La loi ne crée pas des sentimens ; elle peut bien obliger les femmes à garder leurs enfans, elle ne saurait faire des mères. Il lui faudrait pour cela une puissance dont Dieu seul a le secret. Or, quand le cœur manque aux mères, l’hospice, malgré tous ses maux et ses dangers, vaut encore mieux pour les enfans que la maison maternelle.

La clôture des tours n’était qu’un premier pas dans une voie plus