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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1031

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ont néanmoins l’inconvénient de toutes les statistiques, où l’opinion de l’homme n’a pas été faite sur les chiffres, mais où les chiffres ont été faits sur une opinion arrêtée d’avance. Les calculs arithmétiques donnent presque toujours en pareil cas la réponse qu’on souhaite. Le bon sens et la conscience ont aussi leurs révélations, si la statistique a les siennes. Or, une voix intérieure nous dit qu’on ne retire pas subitement sans danger la main tutélaire étendue depuis de longues années sur les expositions. Quoi ! le libertinage, le vice, la misère, trouvent tout à coup la voie du tour fermée, et vous voulez que la pensée de l’abandon, irritée par cet obstacle, ne cherche pas d’autres moyens pour se satisfaire ! On aurait beau grouper des chiffres autour d’une telle affirmation, qu’on ne les croirait pas. Sans doute les tours n’exercent pas une influence absolue sur les infanticides ; c’est dans le cœur de la mère bien plus encore que dans les institutions de bienfaisance qu’il faudrait mettre des garanties contre un pareil crime. La mère qui expose tuera néanmoins une autre fois si les circonstances le lui conseillent, et si l’état refuse de se charger du fruit de sa grossesse. Quand la France ne ferait par l’existence des tours qu’enlever toute excuse à un acte monstrueux et révoltant, elle remplirait encore le devoir de toute société vigilante, qui est d’éloigner de ses membres les tentations et les dangers de chute. Il y a d’ailleurs un autre crime plus caché que l’infanticide, plus insaisissable, plus rebelle à la statistique ; ce crime, puisqu’il faut le nommer par son nom, c’est l’avortement. Or, les tentatives d’avortement se multiplient. Les aveux même de l’administration ne nous laissent aucun doute à cet égard[1]. Qu’on accuse les progrès de la science de servir trop bien les désirs coupables de certaines femmes, toujours est-il que le fait existe, et que ce fait est alarmant. Il se rencontre, nous le savons, des mères qui, malgré la présence des tours, ont recours à l’avortement pour s’éviter les ennuis et les incommodités d’une grossesse féconde ; mais le nombre de ces mères augmentera, quand à de tels motifs, basés sur un vil et immoral égoïsme, s’ajoutera pour elles l’obligation de garder leur enfant. On a dit, pour démontrer l’impuissance des tours, que

  1. A Paris, le nombre des nouveau-nés et des foetus reçus à la Morgue présente, pour les années 1834, 1835 et 1836, une moyenne annuelle de 19 ; pour 1837 et 1838, la moyenne a été de 39 par an ; la moyenne pour les six années de 1839 à 1844 a été de 61. Ces chiffres sont encore très éloignés de nous donner une idée exacte des crimes qui se commettent. Toutes les statistiques officielles ne révèlent jamais, en matière d’avortement et d’infanticide, que le mal connu, patent, constaté ; elles ne peuvent dévoiler la plaie latente.