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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/104

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« Eh ! mais, écoutez donc cette musique étrange ;
Qui chante ainsi ? les fleurs, dites, ou bien un ange ?
Non, jamais on n’ouït telle vibration !
Est-ce une harpe d’or du temple de Sion
Qui soutient cette voix ? Et maintenant, qu’entends-je ?
Le chant s’éteint et meurt, ô désolation !

— « Vous ne devinez pas ? Cette voix métallique,
Ce timbre incomparable et si mélodieux,
C’est ma nièce qui chante, et quant à la musique,
À ce maestoso puissant et glorieux,
Le tout s’est exhalé d’un orgue sympathique
Dont ses doigts délicats ont fait mouvoir les jeux.

« Sans doute elle essayait au clavier, j’imagine,
Quelque nouveau prélude à me chanter demain,
Et le sommeil aura paralysé sa main. » -
À ces mots, d’un ressort il poussa la machine,
Une lucarne au mur s’entr’ouvrit, et soudain
Notre regard plongea dans la pièce voisine.

Figure-toi, lecteur, ô suave tableau !
Une étroite cellule en forme d’oratoire,
Que la lune en tombant, de ses reflets de moire,
Éclairait, et pareille au marbre d’un tombeau,
La main pendante encor sur les touches d’ivoire,
L’ange mélancolique à voix de soprano.

Belle ame d’harmonie et d’extase échauffée !
Le sommeil l’avait prise en son ravissement,
Et son pied, plus mignon que le pied d’une fée,
Sur la pédale encor pesant légèrement,
Il s’exhalait de l’orgue une vague bouffée,
Un bruit plein de mystère et de recueillement !

Le cahier de musique avait glissé par terre
Et gisait à côté d’un grand fauteuil sculpté
Où dormait étendue, et la tête en arrière,
La belle jeune fille au regard velouté,
Dont les yeux assoupis s’ouvraient à la lumière
Comme ces pâles fleurs des tièdes nuits d’été.